Les plumes vont aller bon train pendant quelques jours, ajoutons vite la nôtre.
Les tenants de la poésie, la « vraie », fulminent ! Bob Dylan prix Nobel de littérature ! Faut pas déconner quand même ! On aime la chanson, d’accord, mais ça n’est pas la Poésie, celle qui nous transporte vers les hautes sphères ! D’autres jubilent et les invectives volent bas sur les réseaux sociaux.
Nous autres, crapauds et rossignols goguenards par nature, nous avons d’abord une pensée émue pour notre ami René qui a tant aimé Bob Dylan et qui serait bien content. Ensuite nous nous interrogeons, comme tout un chacun : pourquoi le prix Nobel de littérature a-t-il été décerné à quelqu’un qui n’a pas vraiment publié de livre, sauf un hasardeux et obscur Tarantula et le début d’une vague autobiographie, Chroniques ? Bob Dylan, né Robert Zimmerman, est un chanteur américain, auteur-compositeur de chansons connues internationalement. La chanson ferait-elle soudainement partie de la littérature ? Un fan vous répondrait certainement que la chanson, non, peut-être pas, mais celles de Bob Dylan, oui, car il est le Rimbaud des temps modernes ! Mais tout le monde n’est pas fan de Bob.
Notre étonnement face à cette nouvelle ne devrait d’ailleurs pas être aussi grand que ça, puisqu’il y a quelques années le même Bob Dylan s’est vu décerner aux États-Unis le très convoité prix Pulitzer qui récompense en principe le travail d’un journaliste. Voici donc un chanteur populaire américain, célèbre dans le monde entier ou presque, qui réussit avec de simples chansons à être primé en tant que journaliste et aujourd’hui en tant qu’écrivain ou poète ! La formidable gestion de sa carrière lui vaudra d’ailleurs peut-être dans l’avenir le prix Nobel d’économie.
Trêve de plaisanterie acide. L’attribution de ce Nobel est peut-être parfaitement justifiée quant à l’apport de Bob Dylan à la poésie américaine en particulier et à la poésie anglophone en général. Simplement, une bonne partie du public international (dont nous sommes) qui a fait son succès serait bien incapable d’en juger. En effet, comment sentir le poids exact des mots dans une langue qui n’est pas la nôtre quand il s’agit de poésie ? On peut connaître suffisamment l’anglais pour parler avec des gens, lire un peu des romans, voire un journal, mais sentir la résonance exacte d’un poème n’est guère possible à moins d’être parfaitement bilingue et surtout d’avoir une connaissance approfondie de la littérature américaine et de la poésie anglophone. Pour la plupart d’entre nous, il faut bien le dire, Dylan est avant tout un son, une voix… et un mythe parfaitement orchestré depuis plus de cinquante ans. Le personnage énigmatique à souhait joue avec son image à la perfection et personne (dans le public) ne sait vraiment qui il est. Qu’on soit japonais, américain, allemand, norvégien, espagnol ou français, chacun a le sien. C’est-à-dire une voix, qu’on écoute sans forcément la comprendre, et des mélodies qui tirent derrière elles une flopée de souvenirs hétéroclites.
Justifié ou pas, ce prix pose aussi une autre question : depuis plusieurs années le nom de Bob Dylan faisait partie des « pressentis » pour un Nobel, il était pour ainsi dire « dans les tuyaux ». Qui a donc œuvré en coulisse, qui a tiré les ficelles nécessaires pour qu’enfin il obtienne cette distinction ?
On sait que les prix divers, notamment les Oscars qui honorent films, metteurs en scène et comédiens à Hollywood, sont l’objet d’un lobbying intense et de tractations diverses. Il en va sans doute de même pour bien des récompenses et distinctions partout dans le monde. Le prix Nobel ne tombe pas du ciel, il est attribué par un jury, il n’y a pas de raison pour qu’il échappe à la règle des connivences et autres jeux d’influence. Mais n’ergotons pas, René serait bien content, ça le ferait peut-être même rigoler, et Don’t Think Twice, It’s All Right !
Mais quand même, la colère des « vrais » poètes, que cette nouvelle accable, est assez plaisante (voir le Billet de ce jour).
Floréal et Pierre
Peut-être qu’il n’aura jamais le prix Nobel d’économie, mais il pourrait au moins s’acheter une guitare bien accordée ?
Ernst Gombrich a écrit une excellente « Histoire de l’art » qui est une référence depuis plusieurs décennies. Et Gombrich, parmi de nombreuses questions et réflexions, se demande pourquoi on ne pourrait pas aimer telle œuvre médiévale, d’une facture qui peut nous paraître aujourd’hui naïve voire maladroite en raison de l’absence de perspective, ET telle œuvre de la période classique représentant toutes les deux la Vierge Marie.
Comme si le fait d’aimer les chansons de Dylan devait nécessairement priver de la lecture de Dos Passos, Hemingway ou Steinbeck…
Oui, c’est tristement exact. On dirait que le goût pour certaines oeuvres « distinguées » doit nécessairement s’accompagner du dégoût, voire du mépris de certaines autres plus anciennes ou plus « populaires ». Ce que Bourdieu résumait en remarquant que « le goût est presque toujours le dégoût du goût des autres ». Pierre Delorme
La nouvelle est tellement stupéfiante que le principal intéressé est resté coi. Mais pourquoi pas ? La chanson en général aura désormais une référence de poids, même Maître Gims va se sentir honoré… Non, j’ai rien bu, ou si peu. Et puis pouvoir chanter du « Nobel » ça va mettre au Zénith Bobin et Delorme, ça compte ça, non ?