Voilà nos amateurs compulsifs de chanson de qualité à nouveau vent debout, en posture de « résistants » ! On va supprimer « leur » émission hebdomadaire concoctée par l’immarcescible Philippe Meyer, La Prochaine Fois je vous le chanterai ! C’est incroyable, on dirait que la radio de service public en veut à la « belle » chanson, et à ceux qui l’adorent, au prétexte qu’elle est d’un autre temps.
C’est vrai, un des problèmes de la chanson est qu’elle se diffuse et se consomme selon son actualité immédiate, surtout à la radio. Les amoureux de la chanson (prétendue) de qualité réclament, à juste titre à mon avis, que le service public puisse consacrer une petite heure par semaine au « répertoire », pour permettre notamment aux plus jeunes de le découvrir, et plus si affinités. C’est une bonne idée, bien légitime, de réclamer une sorte d’émission « musée », faite dans l’esprit des ciné-clubs télévisuels, qui ont, notons-le, disparu aussi depuis l’apparition des chaînes thématiques.
Cependant, en matière de chanson, cela pose d’emblée une question cruciale : qu’est-ce que le « répertoire » ? Qui va définir ce qui en fait partie et ce qui en est exclu ? Quels artistes, quel style, quelle époque ?
A l’évidence, ces « résistants », amoureux de la chanson, appartiennent tous à la même génération, celle qui a grandi pendant les années cinquante et soixante, âge d’or de la chanson « à texte » de style rive gauche. Et je ne suis pas certain que si une telle émission « musée » voyait le jour, ils seraient ravis d’y entendre André Claveau, Gloria Lasso, ou même Eugénie Buffet ou encore Ouvrard, voire Alain Barrière… Je crois qu’ils voudraient y entendre avant tout le type de chanson qui a bercé leur jeunesse, Brel, Brassens, Ferré et consorts, ainsi que (voire surtout ?) la longue litanie des seconds couteaux qui ont essayé sans succès de prendre la suite et que Philippe Meyer nous sort régulièrement de derrière ses « aimââââbles » fagots.
Si les médias limitent la chanson à son actualité commerciale, les amoureux la restreignent de leur côté à un passé correspondant grosso modo à leur jeunesse, même s’ils y ajoutent quelques jeunots (plus ou moins jeunes d’ailleurs) d’aujourd’hui qui cultivent ce style ancien et chez lesquels ils croient voir apparaître régulièrement un nouveau Brassens, un nouveau Brel ou une nouvelle Barbara. C’est là le problème.
La chanson est un domaine d’expression très vaste et varié, c’est peu de le dire, et chacun a « son » répertoire, qu’il pense être « le » répertoire. C’est comme la culture générale, chacun a une idée précise et personnelle de ce que l’on a le devoir de savoir et le droit d’ignorer. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge…
Pierre Delorme
* Dans le domaine des arts et du spectacle, notamment le théâtre ou la musique, un répertoire est soit une liste d’œuvres de même nature, soit une liste d’œuvres, associée à un interprète, ou bien à un lieu de spectacle. Par extension, le terme désigne l’ensemble des œuvres devenues classiques (au sens étymologique de « digne d’être un modèle d’enseignement ») : on dit d’une œuvre qu’elle « entre dans le répertoire » dès lors que sa qualité la fait apprécier d’un grand nombre d’interprètes. (Wikipédia)
Salut
Une réponse possible sur « le répertoire » et ses défenseurs, je n’ai pas l’impression que Louis Ville, Alexis HK, Valérie Mischler, sont des octogénaires chenus faisant découvrir Dimey, Brassens, Ferré à leur public de 35-45 ans… je connais même personnellement des artistes qui chantent Dylan, c’est dire si le spectre est large dans « le répertoire »… mais on peut aussi considérer que Dylan est un vieux machin pour ex-hippies résistants…
La question était : qu’est-ce chacun considère comme faisant partie du répertoire. (Je parlais des amateurs de CFQ et non pas des chanteurs « à la marge », qui souvent reprennent des valeurs sûres pour tâcher d’avoir des dates.) Vous répondez par des noms des années cinquante et soixante, ce qui semblerait aller dans le sens de ce qui est dit dans l’article. Que ne citez-vous des gens reprenant Yvette Guilbert, Gustave Nadeau, ou encore Pierre-Jean Béranger, Mireille et Jean Nohain, par exemple ?
Voilà une chronique qui me fait songer de suite à « La Chance aux chansons » du regretté Pascal Sevran. Ainsi qu’à une autre émission animée par Sacha Distel dont je serai bien incapable de donner le titre.
Deux émissions qui avaient une conception affirmée d’une certaine esthétique de la « bonne chanson ». Le lecteur comprendra que je cite bien la locution de Pascal Sevran et non point un alcoolique devenu un phare pour l’Éducation nationale.
« À vos cassettes ! » Cette chronique me rappelle également Jean-Christophe Averty dont personne n’a oublié la matrice BC3842 à moins que ce ne soit WX39472…
Damned ! J’allais oublier « Taratata ». Et Maritie et Gilbert Carpentier qui firent pourtant leur passage au Top.
« Sacha Show », c’était le nom de l’émission animée par Sacha Distel.
Mais mon cher Pierre, ce musée poussiéreux où tu persistes à vouloir enfermer les nostalgiques de la CFQ au titre que seules les chansons de leur jeunesse n’auraient d’intérêt véritable, puisque le petit cercle des accros, tels les derniers « Poilus » commémorant Verdun (là il faudrait ajouter chevelus) n’auraient comme moteur que la nostalgie, celle des beaux textes, mais chiants, mais beaux, mais chiants ! Ce musée est ouvert à tous vents et les répertoires qui s’y construisent peuvent aussi enthousiasmer plusieurs générations confondues dans le mystère de la curiosité… (cette phrase est beaucoup trop longue !)
Mais pour cela, il faudrait continuer à être curieux !
« […] une question cruciale : qu’est-ce que le « répertoire » ? Qui va définir ce qui en fait partie et ce qui en est exclu ? »
La réponse varie au fil du temps. Prenons l’exemple de la musique classique. Ça vaudrait la peine de cataloguer de façon précise le répertoire d’il y a cinquante ans et de le comparer au répertoire d’aujourd’hui.
En 1966 la période baroque n’existe quasiment pas et ses rares œuvres données en concert ou enregistrées sont « relookées » dans une veine classique convenue. De Vivaldi on ne connaît que Les quatre saisons dont les attentes téléphoniques nous rappellent encore sous quelle couche de poussière épaisse des interprètes les avaient ensevelies. De Vivaldi toujours une bonne quarantaine d’opéras restent aujourd’hui l’apanage exclusif de quelques lecteurs professionnels de manuscrits ayant accès aux bibliothèques où ils sont conservés.
Certains interprètes se sont spécialisés dans la redécouverte des partitions oubliées. Si des œuvres méritaient d’être exhumées de l’oubli, on connaît aussi des musiciens à qualifier de collectionneurs de timbres-poste. J’ai le souvenir de concerts soporifiques constitués d’œuvres mineures de compositeurs mineurs qui n’intéressent que quelques spécialistes de l’histoire de la musique.
En théâtre on oublie que l’on n’a retenu qu’une petite partie de l’abondance production de Racine ou Corneille. Ils sont les auteurs d’un paquet d’œuvres que personne ne connaît ni ne lit. J’ai vu voici quelques années une pièce bien oubliée de Molière et me suis dit, en baillant à me décrocher la mâchoire, que cet oubli était fort justifié. Le tri se fait au fil du temps… mais peut être ré-interrogé par une nouvelle génération comme les petits jeunes baroqueux qui ont débuté autour de 1970.
Comment faire le tri en chanson ? Comme il n’y a pas d’appareil culturel à se soucier de chanson (théâtres, Éducation nationale, compagnies de répertoire, interprètes, etc.) on ne peut même pas répondre à la question de façon définitive ou satisfaisante. Sauf en s’empaillant entre gens qui regrettent peu ou prou leur impuissance. Notons tout de même que Gérard Pierron a apporté sa propre réponse en reprenant les textes de Gaston Couté. Ou Christian Camerlynck en reprenant Jacques Debronckart.
Mon cher Chris, je ne veux enfermer personne, dans un musée ou ailleurs! Simplement, et ça n’est qu’un point de vue, je constate que les gens de ma génération (baby-boom) qui apprécient la bonne chanson et ses classiques (de leur jeunesse), s’ils sont curieux, ne s’intéressent globalement qu’à des « jeunes » artistes dont les chansons écrites aujourd’hui auraient pu l’être dans les années cinquante et soixante. Je ne citerai pas de nom! Tout ceci n’est qu’une impression, bien sûr, et je comprends qu’elle ne soit pas partagée, voire agace un peu! C’est ce qui fait le charme des Crapauds et Rossignols, même s’ils sont aujourd’hui un peu déplumés et coassent moins fort, et un peu de travers! 🙂