« Cette musique du quintet de Bill Frisell me parle plus que mille chansons, fussent-elles même à texte, qui, souvent, ne me « racontent » rien. »
J’ai trouvé cette phrase sur une page Facebook et il m’a semblé intéressant de la relever, puisqu’elle a été postée par un grand amateur de chanson (de ma génération), que je connais un peu. Les amateurs de chanson dite « de qualité » se montrent habituellement peu sensibles à la musique, au point (caricatural, c’est vrai) de permettre à certain d’écrire (sans rire) un jour dans un fil de commentaires que si les paroles d’une chanson lui plaisent, peu lui importe alors la musique !
C’est pour cette raison que cette phrase a attiré mon attention. Est-ce la lassitude d’un vieil amateur de chanson qui s’exprime ainsi ? Ou bien la musique instrumentale dit-elle effectivement plus de choses que la chanson ? Je crois que ce genre de question a, hélas, toutes les chances de nous conduire dans une impasse. Nous la laisserons donc soigneusement de côté.
En revanche, ce qui me semble intéressant est de découvrir qu’un « grand amoureux » de la chanson peut finir par trouver dans la musique instrumentale ce qu’il ne trouve plus dans la chanson, qui ne lui « raconte » plus grand-chose.
Je ne suis pas loin d’être dans le même état d’esprit. Si la chanson m’a beaucoup apporté sur le plan émotionnel dans mon jeune âge, et ma jeunesse fut longue de ce point de vue, je dois bien avouer qu’aujourd’hui je peine à y trouver de quoi m’émouvoir, y compris dans un répertoire déjà ancien (celui de l’âge d’or de la chanson) dont certaines œuvres m’avaient pourtant bouleversé. Tout change, mais on change surtout soi-même. Avec l’âge on devient une autre personne et on aurait peine à reconnaître la jeune personne qu’on était si on se trouvait en face d’elle (c’est pas moi qui le dis, c’est Marcel Proust).
J’ai aujourd’hui l’impression d’avoir épuisé le type d’émotions que la chanson peut me procurer, et celles que je cherche sont ailleurs, le plus souvent dans la musique instrumentale.
La plupart des voix de la chanson ne contiennent pas assez de musique pour mon goût, les mélodies non plus. Quant aux paroles, peut-être en ai-je trop écouté déjà pour qu’elles puissent me raconter encore quelque chose.
Pourtant la voix en chanson peut être pure musique. Le dernier concert à m’avoir fortement touché est celui de Youn Sun Nah, accompagnée de la seule guitare d’ Ulf Wakenus. Elle chante des paroles, en anglais, en coréen et en français, et la musique est présente dans la moindre de ses phrases, de ses murmures, de ses silences. Je suis devenu incapable de retrouver des émotions semblables en écoutant la chanson actuelle, qu’elle soit marginale ou « produite » par des majors. Et donc, je peux faire mienne la phrase citée au début de cet article, « […]mille chansons, fussent-elles même à texte, […] souvent ne me racontent rien ».
Peut-être parce que, après en avoir écouté beaucoup et pendant longtemps, on s’aperçoit qu’une chanson, comme la plus belle fille du monde, ne peut donner que ce qu’elle a.
Pierre Delorme
« Tout change, mais on change surtout soi-même. (…) J’ai aujourd’hui l’impression d’avoir épuisé le type d’émotions que la chanson peut me procurer, et celles que je cherche sont ailleurs (…) »
Bien vu. Tout est dit dans ces deux phrases.
Partageuse écoute une chanson de Nougaro et note à quel point elle est bien écrite. Pourtant, quand on parle de Nougaro, ce n’est pas son écriture que l’on cite d’ordinaire en premier.
À rebours je reçois le disque d’un encore jeune chanteur dont j’avoue avoir cessé l’écoute avant la fin. Faire entrer neuf ou onze pieds dans un octosyllabe l’oblige à des contorsions vocales qui endommagent des mélodies qui se présentaient pourtant bien. Je regrette ainsi que de nombreuses productions actuelles restent des brouillons inachevés.
Je viens de réécouter à plusieurs reprises l’intégrale de Catherine Ribeiro + Alpes récemment acquise. Je n’ai pas connaissance d’un équivalent dans les productions de ces deux dernières décennies. Et je cite volontairement une forme éloignée des conventions traditionnelles de la chanson. Parce que dans un registre plus conventionnel il me semble faire face à cette même lacune.
Laissons la nostalgie de côté. Elle n’explique rien dans mon cas. Je n’ai jamais eu et n’ai toujours aucun goût pour une grande part de la production passée. Je trouvais naguère mon miel dans un océan d’indifférence. Aujourd’hui j’avoue avoir bien du mal à trouver du miel.
Et de ce fait ma discothèque doit compter à peu près quatre à cinq fois plus de musique classique contemporaine (de Debussy à aujourd’hui) que de chanson. Dont bien peu de productions récentes. Sans doute ai-je changé comme Pierre. Mais nous ne sommes pas tout seuls. Où diable se cachent les Brassens et Ferrat mais aussi les Moustaki et Brua d’aujourd’hui ?
Peut-être sont-ils cachés dans les oreilles des jeunes générations, tout comme ceux que vous citez étaient cachés dans les nôtres lorsque nous étions jeunes encore. Comment savoir ? Pierre
« Où diable se cachent les Brassens et Ferrat mais aussi les Moustaki et Brua d’aujourd’hui ? »
Possiblement là : http://clementbertrand.wix.com/clementbertrand
Bien certain qu’à l’époque de Brassens, certains se sont dit que ce n’était quand même pas Fréhel. Rien à voir avec la nostalgie, mais peut-être une habitude, un pli pris par l’oreille, qui modèle ainsi ses attentes et rend plus compliqué la réception – et l’évaluation à mesure – du neuf, du différent.
Certes, tout ne se vaut pas et le relativisme absolu est plutôt chiant. Mais on croit parfois parler d’un genre, de ses limites, alors qu’on parle avant tout de soi.
Tout de même une différence marquée avec Pierre. Je n’éprouve rien de cela en littérature. J’ai seulement laissé tomber les auteurs contemporains français qui donnent dans l’autofiction, l’écriture auto-analysante et la pure recherche stylistique. L’écriture auto-analysante est du reste un caractère commun à nombre de chanteurteuses d’aujourd’hui.
[…] une habitude, un pli pris par l’oreille, qui modèle ainsi ses attentes et rend plus compliqué la réception […]
Bah, non, cette clé ne fonctionne pas plus. Je suis un inconditionnel de Loïc Lantoine, j’aime Imbert Imbert et Jérémie Bossone, autant qui me semblent souffler du vent neuf. Et j’aime beaucoup la jeune génération en musiques traditionnelles qui a su débroussailler des nouveaux chemins dans un domaine qui prêterait facilement à la routine.
« Je n’ai jamais eu et n’ai toujours aucun goût pour une grande part de la production passée. Je trouvais naguère mon miel dans un océan d’indifférence. Aujourd’hui j’avoue avoir bien du mal à trouver du miel. »
« Bah, non, cette clé ne fonctionne pas plus. Je suis un inconditionnel de Loïc Lantoine, j’aime Imbert Imbert et Jérémie Bossone, autant qui me semblent souffler du vent neuf. »
Donc, finalement, vous arrivez bel et bien à trouver votre miel dans la production actuelle ?
J’ai un peu de mal à (ré)-entendre l’argument :
« Quant aux paroles, peut-être en ai-je trop écouté déjà pour qu’elles puissent me raconter encore quelque chose. »
C’est un peu comme si je me disais : « J’ai déjà lu plein de phrases dans des livres, elles ne peuvent plus rien me raconter… je laisse tomber les livres et je vais au cinéma ! »
Avoir usé les mots, les phrases et les idées qu’elles véhiculent me semble être le degré maximum de la « blasitude »… (mot tout neuf pas encore usé…).
Hélas, ce que j’éprouve pour la chanson, je l’éprouve également pour la littérature et le cinéma… Ce ne sont pas les mots, les phrases qui sont usés, c’est ma propre sensibilité (je croyais que le sens de l’article était clair…). Je me console en me disant que si elle est usée, c’est qu’elle a dû beaucoup servir. Pierre Delorme
Salut
C’est souvent un travers de l’amateur CFQ de ne pas trop écouter la musique, et parfois de ne pas l’entendre du tout, même quand elle est très bonne. Sur ce point, l’écoute des « musiques américaines » devrait leur apporter un thème de réflexion…