Le petit monde de la chanson en marge, dont on peut se demander si en fin de compte il ne préfère pas les polémiques à la chanson, s’émeut avec neuf mois de retard d’une nouvelle version, par Thomas Dutronc, de la chanson Est-ce ainsi que les hommes vivent ? rebaptisée Aragon pour la circonstance.
Si cette version se révèle d’une platitude absolue, elle a pour avantage de mettre en évidence, une fois encore, l’extrême ouverture d’esprit qui règne au sein du microcosme. Là où il suffisait, par le biais de l’ironie et de l’humour, de remettre le chanteur et sa version aragono-showbiz à leur place, parmi les artistes et les productions qui ne devraient pas rester dans l’Histoire, c’est surtout l’invective et les verdicts peu cléments qui dominent.
« Un petit con comme sa mère », « Quel petit con ! », « Dutronc enfoiré ! », « Honte nationale ! », voilà quelques réflexions profondes que la publication de la vidéo sacrilège a entraînées. D’autres commentateurs indignés, moins injurieux mais tout aussi tolérants, se sont contentés d’une interdiction d’exercer, toute virtuelle heureusement, adressée au « fils de » : « qu’il joue de la guitare, et basta ! », « le pire serait qu’il décide de reprendre L’Affiche rouge », « pourvu que ne lui vienne pas en tête de reprendre et de « manouchiser » des textes forts et intenses de Barbara ou de Brel », etc.
Parfois, dans le débat, vient se glisser un soupçon de lutte des classes : « Papa et Maman lui paient des cours depuis son plus jeune âge ! », « Reste dans ta bourgeoisie et ne salis plus rien ! ».
Il émane de ces réactions, pour la énième fois, un aspect sacré entourant certaines chansons et plus encore certains artistes perçus comme intouchables dès lors que ceux qui se mêlent de leur œuvre proviennent du monde honni de la variété, rebaptisée bien sûr illico la « variétoche ». Cet aspect me semble magnifiquement et tristement rendu par cet autre commentaire : « Il y a pourtant des lois qui interdisent la profanation des monuments… » Fort heureusement, il est des monuments de bêtise dont il est permis de se moquer un peu. C’est fait.
Floréal Melgar
Salut
Est-ce que tout ça méritait ces excès (d’honneur ou d’indignité) de bile mal digérée ? Dans tous ces commentaires que j’ai lus avec consternation, j’entendais une petite voix en écho, celle d’Audiard sur ceux qui osent tout, je parle des commentaires, bien sûr… Et certains ont bien mérité la Médaille d’Honneur dédiée à ceux dont Brassens a chanté la gloire… quand le temps ne fait rien à l’affaire… (ex aequo d’ailleurs avec quelques furieux qui ont perdu tout sens de la mesure dans l’affaire Bruel-Barbara… Et puis on a Lambert Wilson pour un prochain tour…).
Peut-être qu’ils sont furieux parce qu’ils connaissent des interprétations de Barbara tout aussi sincères, respectueuses, personnelles, sensibles mais moins diffusées dans les médias que celle de Bruel chantant Barbara ? Si c’est le cas, j’aimerais bien les connaître.
PS: « manouchiser des textes forts et intenses de Barbara ou de Brel », et quand Sansévérino a fait un assassinat en règle de « L’Etrangère » ou d’une chanson de Reggiani, ça n’a pas ému grand monde, et pourtant…
Une « chanson de Reggiani » ? Reggiani aurait écrit une chanson ?
Pan sur les doigts… Une chanson suggérée par Reggiani et écrite par Moustaki… (c’est comme les chansons de Montand).
Je suis rarement fan des reprises des chansons que j’ai aimées par leur interprète originel, surtout s’il en est l’auteur. Néanmoins, avançant en âge, j’apprécie que des jeunes découvrent Brassens au détour d’un concert d’un artiste étiqueté « nouvelle scène française », tout simplement parce que les orchestrations très classiques rebutent un peu les plus jeunes.
Quant à faire un procès à ces repreneurs, en hurlant sur une chanson créée par Ferré et reprise par Thomas Dutronc, je n’ai aucun avis ne l’ayant pas entendue, mais c’est certainement bien moins infamant que les héritiers ayant droit autorisant l’utilisation d’une chanson parole, musique et interprétation pour vendre des sardines…
Faut croire que comme l’ancien, les héritiers ont une certaine avidité de pognon.
Thomas Dutronc n’a pas repris une chanson créée par Ferré, il a mis en musique à son tour des extraits du même poème d’Aragon (Bierstube Magie allemande), curieusement en reprenant les mêmes vers que ceux choisis par Ferré bien qu’il ait, d’après lui, tout ignoré de cette première version. En ce qui concerne Matthieu Ferré, si cette avidité de pognon, comme vous dites, lui permet de continuer à entretenir comme il le fait l’oeuvre et la mémoire de son père, en publiant, par exemple, avec soin des inédits, cela vaut bien quelques sardines. 🙂 Pierre Delorme