J’ai eu le plaisir d’assister à la première des deux journées d’un colloque consacré à « la voix dans la chanson ». Ce colloque était organisé conjointement par l’université Lyon-II et l’université Paris- Sorbonne (notamment Céline Chabot-Canet et Catherine Rudent). La première journée avait lieu à Lyon et la seconde à la Sorbonne.
La journée à l’université de Lyon nous a permis d’entendre une présentation de divers travaux entrepris par des professeurs et des doctorants qui s’intéressent à la voix et à son usage dans la chanson. La plupart des intervenants sont des musicologues dont le domaine de recherche est la musique populaire, et en particulier la chanson. Mais nous avons eu aussi l’occasion d’entendre un informaticien qui travaille à la modélisation de voix de synthèse, et une physicienne qui s’occupe de la « mécanique » de la voix.
Je ne m’arrêterai pas sur les divers points de vue exprimés, suivis parfois d’une courte séance de questions. Dans un domaine aussi vaste et complexe que celui de la chanson, on peut difficilement être d’accord avec tout ce qu’on entend, on peut même rester dubitatif devant certaines assertions, surtout quand on est un Crapauds et Rossignols de nature goguenarde ! Mais on ne va pas chipoter sur les détails et sur certaines imprécisions dans la connaissance du répertoire.
Cependant, je m’attarderai sur le fait que nous avons entendu des témoignages de démarches originales et très intéressantes, une fois, bien sûr, passée la surprise d’entendre parler, par exemple, de tel ou tel artiste très populaire avec le vocabulaire de la sémiologie selon Roland Barthes… Le profane a l’impression de passer d’une galaxie à une autre et ça tangue un peu ! Mais si la plupart des points de vue exprimés à travers ces axes de recherche sont passionnants, ce qui me semble le plus important est de constater que la chanson est devenue un objet de recherche universitaire (presque) aussi courant qu’un autre. C’est un genre de changement salutaire qui voit le jour grâce à l’arrivée de nouvelles générations d’enseignants et de chercheurs*.
C’est un grand plaisir d’entendre enfin « causer » chanson sur un mode savant, et non plus sur le seul mode des impressions vagues et autres réactions épidermiques, comme il est d’usage chez ceux qui parlent habituellement de la chanson, avec pour unique boussole leur sacro-saint « ressenti ».
Certains artistes bataillent depuis des années pour que la chanson soit reconnue comme un art majeur. Je ne sais pas si ce mode d’expression appartenant à la culture populaire pourra, du fait de cette appartenance, être un jour considéré comme art majeur, mais la place qu’il occupe désormais en tant qu’objet digne d’étude au sein de l’université est déjà une forme de reconnaissance de son importance. Et ça, c’est très bien.
Pierre Delorme
* Cerise personnelle sur mon gâteau, trois intervenantes, au cours de ces deux journées lyonnaise et parisienne, sont passées par le département chanson de l’ENM de Villeurbanne et notamment par mon cours d’analyse de chansons. Il n’y a bien sûr pas de relation de cause à effet avec leur brillant parcours universitaire, mais quand même, je suis bien content de savoir qu’un jour elles ont croisé sur leur chemin un Crapauds et Rossignols qui parlait chanson.
Le 24 novembre dernier, dans l’amphi Durkheim de la Sorbonne, à Paris, Cécile Prévost-Thomas et Catherine Rudent présentaient et lançaient le premier séminaire consacré à la chanson, intitulé « Penser la chanson », avec une séance mensuelle jusqu’au mois de mai 2016. Les premiers intervenants ont été Jacques Bertin, Gérard Authelain et Chantal Grimm. Les prochaines séances auront lieu les 22 mars, 12 avril et 17 mai.
Inviteront-elles un jour les Crapauds et Rossignols ?
Salut
Sur le « ressenti », à moins d’être un spécialiste éminent et reconnu dont la parole est d’évangile, il me semble plus cohérent d’exposer un point de vue personnel, et revendiqué, quand on aborde une chronique de spectacle ou d’album. Chaque lecteur fera ensuite son choix, s’il partage, ou pas… A supposer qu’un expert du rap fasse une brillante analyse de ce moyen d’expression, ça peut m’intéresser, mais pas forcément me donner envie d’écouter et d’acheter l’album. Chanson « art majeur » ou mineur, je m’en fiche un peu, plutôt art primaire en ce sens qu’une chanson peut toucher n’importe qui, intello ou simplet, quand la musique est bonne… Qui est un langage universel, après, si on en a le goût, on essaie de comprendre ce que dit Bob Dylan, ou Leonard Cohen, ou Bessie Smith… Mais par la voix, la musique, je n’ai pas eu besoin de traduction pour « ressentir » Strange Fruits. Et pour ce qui est de la musique, j’ai été un peu surpris récemment de lire une chronique détaillée sur un spectacle conçu à trois, auteur, chanteuse et compositeur, chronique qui n’avait pas un mot pour le compositeur…
Pourquoi la parole sur la chanson devrait-elle se limiter à des chroniques qui donnent envie ou non d’acheter des CD ? L’article voulait simplement rappeler qu’il peut être agréable d’entendre parler de chanson autrement que sur le mode des goûts et des couleurs et de la découverte systématique de nouveaux « artistes »… Même si c’est un art populaire, il n’interdit pas la réflexion, et cela même si l’on n’est pas « un spécialiste éminent et reconnu dont la parole est d’évangile ». Pierre Delorme