Tout d’abord, une précision. Le prix Jacques-Douai auquel fait référence l’article de Pierre* pour introduire le sujet qui nous occupe ne récompense pas un artiste « dont un des soucis doit être l’élévation du public ». Ce sont les membres du jury qui estiment que l’œuvre du lauréat, quels que soient ses soucis artistiques, contribue à cette « élévation ». C’est un peu différent. Il convient, je pense, de comprendre par-là que l’artiste en question offre à entendre des chansons dont le propos ne prend pas invariablement le public, quel que soit l’âge de ceux qui le composent, pour une masse de crétins tout juste bons à se trémousser sur de la musique ou à gober des phrases creuses ou stupides, excusables chez un enfant de 12 ans mais plutôt navrantes lorsqu’elles émanent d’un adulte. Voilà pourquoi le prix a pu être décerné à Gilbert Laffaille, Philippe Forcioli ou Véronique Pestel, par exemple. Mais d’autres pourraient tout aussi bien l’avoir reçu, comme Louis Capart, Béa Tristan ou… Pierre Delorme.
Cela ne signifie pas pour autant que la chanson doit être assimilée à un traité de philosophie ou une étude sociologique, même si là encore certaines chansons d’un Brassens qui observe le monde autour de lui, par exemple, me paraissent supérieures aux propos convenus de bien des experts. D’abord parce que la musique a son importance ; ensuite parce que nombre d’auteurs considérés comme « à texte » ne se sont pas privés de faire parfois dans le léger, l’humour ou la franche rigolade, sans sombrer pour autant dans la médiocrité, voire la vulgarité. Et puisque le nom de Brassens vient d’être lâché, il me semble que cet artiste hors pair illustre parfaitement le sujet. En effet, quand on l’écoute parler de ses propres chansons, jamais le grand Georges ne verse dans une prétention grandiloquente en les présentant comme autant de chefs-d’œuvre. Une modestie exagérée paraît au contraire dominer son propos. Or, si l’on demande son avis à son public, personne ne s’aventurera bien sûr à prétendre que son œuvre est à placer au rang du simple divertissement. Et on pourra en dire tout autant de Brel, de Ferré, de Ferrat ou Félix Leclerc, pour rester chez les « grands », mais aussi de pas mal d’artistes qui, à des degrés divers, se situent dans cette « famille ».
S’il nous avait été donné, au moment de nos 15 ou 16 ans, d’entrer dans une salle de spectacle au hasard, sans en connaître la programmation, force est de reconnaître que nos impressions n’auraient pas été les mêmes selon que sur la scène se soient produits Monty, Frank Alamo, Brassens ou Mouloudji. (Inutile de préciser ici, à mon sens, qui « élève » ou non les spectateurs.) C’est en ce sens qu’il faut davantage entendre le terme « élévation », dans le fait, pour reprendre les mots d’une chanson de Michel Boutet, que l’artiste « ne tient pas l’intelligence des autres pour perdue d’avance ». Plutôt que d’opérer un parallèle avec les sciences humaines, qui en effet contribuent à notre formation intellectuelle et à notre culture, il me semble que la chanson, pour rester dans le domaine de la lecture, se devrait plutôt d’être mise sur le même plan que le roman, qui comme elle est œuvre d’imagination, de création. Et reconnaissons que les œuvres de Camus, Dostoïevski, Steinbeck, Zola ou Marcel Aymé nous ont davantage permis de nous « élever » que celles de Guy des Cars et Amélie Nothomb.
Je partage le point de vue de Pierre lorsqu’il s’agit de dire que l’« élévation » du public par la chanson vaut surtout pour les jeunes gens. Elle est en effet une forme artistique qui contribue, pour certains, à la formation du goût et à une certaine exigence esthétique et intellectuelle. Quant à prétendre que la chanson dite « de parole », en tout cas celle qui surnage car il y a bien sûr du déchet dans ce créneau-là, ne fait que conforter le public adulte dans des certitudes déjà acquises, je crois qu’il convient de modérer ce point de vue. Il me semble que c’est surtout vrai pour cette frange de la chanson dite « engagée », celle qui s’écrit et s’écoute au premier degré, celle qui milite à sa manière. Mais elle ne constitue pas à elle seule, loin de là, toute la chanson « à texte », qui présente un éventail plus large et sait aussi s’aventurer dans les territoires poétiques ou ceux de l’humour. A ce titre, elle contribue à mon sens sinon à « élever » le public, du moins à le maintenir à un niveau artistique supérieur à l’insipidité fréquente de ce qui nous est le plus souvent offert.
Floréal Melgar
* Voir « Elévation du public ? » (1)
Pas mieux…
C’est sûr, entre Brassens et Alamo, y a plus d’une échelle… Heureuse de voir qu’enfin tu accordes à Frank la place qui lui revient, la première. 😉
Salut
Bon finalement je suis d’accord avec les deux, ça évitera un duel à l’aube sur le pré, ou au bistrot du coin. Dans le précédent épisode, je constatais que souvent la chanson m’a emmené dans des univers que je connaissais peu, est-ce que ça m’a élevé ? Ça m’a instruit, et invité à élever mes connaissances, et élargir mon petit monde… Et tout le monde est content…