J’ai vu le film documentaire consacré à Paco de Lucia, le grand guitariste andalou qui a révolutionné le flamenco. Le film, réalisé par son fils, produit et écrit par ses filles, a été interrompu par la disparition brutale de Paco, à l’âge de 66 ans, en 2014.
On peut, comme François-Xavier Gomez dans Libération, trouver bien des défauts à ce documentaire, notamment son côté « hagiographique ». On peut aussi penser qu’il manque ceci ou cela, et que bien des détails biographiques sont passés sous silence, qu’on a évité les « sujets qui fâchent »… Cependant, l’intérêt du film (à mon avis) réside surtout dans le fait qu’on peut y entendre Paco de Lucia lui-même s’exprimer sur sa vie et son rapport à la musique. On pressent bien la rareté de ces propos tant l’homme paraît solitaire et peu disert.
Ce documentaire devrait ravir surtout les guitaristes, et les musiciens en général, puisqu’on y recueille quelques considérations de l’artiste sur son métier, son art. Ces sortes de confidences, assez sobres, témoignent surtout de sa grande humilité vis-à-vis de la musique. On y apprend, par exemple, comme en passant, l’importance qu’il accordait à l’acoustique de la salle où se déroulait le concert. Ça n’est pas une simple question de confort. C’est de la qualité même du « son » que naît l’inspiration musicale, celle qui permet à l’artiste de donner le meilleur de lui-même. On y découvre aussi que Paco jouait avant tout pour lui-même. Il ne s’occupait pas du public. La musique est d’abord une affaire entre lui et lui. Et s’il joue bien, le public le sent, le sait, pensait-il. D’ailleurs ne dit-il pas aussi qu’il se sent gêné, s’il pense avoir mal joué, sans âme, et que les gens (même seulement dix personnes!) l’applaudissent à tout rompre ? Cela devrait être une leçon pour tous les cabots qui ne montent sur scène que pour récolter des bravos et l’approbation du public, quelle que soit la qualité de leur prestation.
On y apprend aussi ses hésitations devant les pièces qu’il compose. Il peut trouver très mauvais le matin ce qui l’avait enthousiasmé le soir. « Qui faut-il croire, dit-il, celui que j’étais hier soir ou celui que je suis ce matin ? » Ces incertitudes et cette humilité peuvent paraître ahurissantes chez un tel « génie » de la guitare, à la technique et à la musicalité aussi sûres qu’époustouflantes. Là encore, c’est une leçon. La leçon que nous donne un formidable musicien qui ambitionnait simplement au départ d’accompagner des chanteurs de flamenco. (Le grand guitariste de jazz Sylvain Luc, virtuose absolu, expliquait, lui aussi, qu’en montant à Paris il rêvait simplement de pouvoir gagner sa vie en accompagnant des chanteurs ! Humilité des virtuoses.)
Alors, bien sûr, l’amateur de biographies détaillées, de polémiques débusquées derrière une image trop lisse, l’amateur de « part d’ombre » (Paco évoque à un moment « ses démons », mais nous ne saurons pas lesquels), restera sur sa faim, malgré des images d’archives peu connues.
En revanche, ceux qui aiment la guitare et les musiciens virtuoses seront comblés de simplement entendre (même un petit peu) quelques confidences « ordinaires » de ce musicien extraordinaire, dont on se rend bien compte en l’écoutant que la musique était sa seule passion, ou plus exactement, comme il le dit lui-même, que « la guitare était [sa] seule forme d’expression. »
Pierre Delorme
Paco de Lucia, légende du flamenco, documentaire de Curro Sánchez Varela, 1 h 32.
Salut
Dans ce témoignage sur le rapport à la musique, je retrouve beaucoup de ce que disait Henri Crolla, et aussi d’une façon différente ce que disait Django, ou plutôt ce qu’il laissait entendre, Django n’était pas bavard, sauf avec quelques-uns de ses musiciens préférés, comme Emmanuel Soudieux.
Ça n’est que ce que j’ai retenu du film. Pour se faire une opinion personnelle, il vaut mieux aller le voir, mais se dépêcher de le faire, il ne restera sans doute que peu de temps à l’affiche, et demain, c’est déjà mercredi!