Dans un récent article du supplément « Sortir » de Télérama, Valérie Lehoux signe une petite chronique consacrée au CD « Gloires » de Jérémie Bossone. Si elle évoque les qualités décelées chez ce jeune artiste et dans ses chansons, elle ne lui épargne toutefois pas quelques coups de griffe, dont un sévère. Mais cela ne semble pas avoir gêné outre mesure l’intéressé, puisqu’il s’est fait le relais de cet article sur sa page facebookienne en qualifiant d’« honorables » les griffures de la journaliste.
C’est bien la preuve qu’une critique digne de ce nom peut exister, qui souligne ce qu’on estime être réussi tout en n’omettant pas de préciser ce qui l’est moins, sans qu’un artiste suffisamment intelligent, à la susceptibilité ou à l’ego non démesuré, se sente pour autant « flingué » à jamais.
Or, comme l’a rappelé Pierre*, le regard critique, dans le bon sens de l’expression, est hélas devenu bien trop rare dans ce monde étroit de la chanson de parole. Il ne s’agit guère plus désormais que de louanges acquises d’avance, valables pour tous, qui viendront agrémenter des dossiers de presse bien inutiles, lesquels serviront en retour à promouvoir telle publication ou tel site internet d’où est extraite la critique brosse à reluire.
Ce « louangisme » critique tous azimuts, qui confine bien souvent à une béatitude cucul, est tel qu’il nous a parfois amenés ici à assimiler un peu injustement le public de la chanson française dite de qualité à ces écrivaillons flagorneurs. Or ce public recèle en son sein des amateurs de chanson non idolâtres, qui ne se croient nullement tenus de détester Yves Duteil ou Maurane pour apprécier Michèle Bernard ou Michel Bühler. On y trouve aussi de véritables connaisseurs qui, en privé, savent nous dire ce qui colle et ce qui colle moins chez tel ou tel artiste, tel ou tel musicien, telle ou telle chanson, telle ou telle interprétation, sans autre prétention que de livrer un modeste avis qu’il ne juge guère nécessaire de livrer aux foules. Ce sont souvent les mêmes, d’ailleurs, quand un spectacle se révèle mauvais, qui préfèrent vous adresser un sourire gêné plutôt que de se livrer au plaisir douteux du jeu de massacre destiné à « faire le buzz » en entraînant des polémiques où les amoureux de la belle chanson oublient le plus souvent leur amour immodéré de la poésie pour faire assaut de vulgarité et d’injures.
Oui, il y a assurément plus de véritables critiques compétents parmi ces amateurs de chanson, même si une certaine frange de ce public-là, il est vrai, s’applique davantage à ressembler à une foule de fidèles rassemblés pour la grand-messe plutôt que d’ouvrir réellement ses yeux et ses oreilles.
Par ailleurs, le fait même de la marginalité croissante de la chanson de parole a inévitablement entraîné ses « spécialistes » à côtoyer de près, voire même de très près, les artistes qu’ils évoquent dans leurs écrits. Il est dès lors bien difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de la sincérité et ce qui tient du copinage éhonté lorsque chroniqueur et chroniqué se tapent sur le ventre à chacune de leurs rencontres. Le degré de connivence, voire parfois d’amitié réelle, qui souvent existe avec nombre d’artistes, de responsables de salle ou d’organisateurs de festival est tel que l’exercice régulier de la critique ne peut plus guère alors être pris au sérieux. Rappelons également que ces mêmes critiques n’ont jamais de mots assez durs, de condamnations assez fermes lorsque des mœurs identiques ont cours au sein du showbiz tant détesté.
Il est un domaine où certains journalistes ne signent leurs chroniques que sous pseudonyme et n’acceptent de parler publiquement que masqués, de façon à n’être pas connus ou reconnus dans le domaine qui est le leur, pour éviter toute tricherie : la critique gastronomique. Je ne vois plus guère que l’absolu anonymat, dans cette sphère où tout le monde se connaît, si l’on souhaite vraiment un retour de la critique honnête et constructive au sein de la CFQ.
Floréal Melgar
* Voir « L’art est aisé, la critique est difficile » et « Critique, une question de mesure(s) ».
Et cette phrase de Valérie Lehoux à propos de Jérémie Bossone me rassure : « une terrifiante reprise de Göttingen, de Barbara, digne d’une soirée chez Michou ». J’étais la seule parmi une bande de fans de Bossone a avoir dit que je ne supportais pas cette reprise. Cela dit, j’ai vu deux fois Bossone sur scène et il m’a scotchée !
Je ne vois pas en quoi cette réflexion concernant la reprise d’une chanson de Barbara, qualifiée de « terrifiante », « digne d’une soirée chez Michou », relèverait de la critique éclairante…
Pour avoir vu plusieurs fois Jérémie Bossone sur scène interpréter cette chanson, je n’ai pas le souvenir qu’elle ait provoqué la moindre « terreur » dans les salles, pas plus que le public ait fui les lieux en panique…
Il existe des films « de terreur » qu’on qualifie volontiers de série Z, Jérémie Bossone ne me semble pas participer à cette catégorie de spectacle. Mais mon avis ne vaut « que » pour celui d’un pékin de base qui trouve outranciers ces avis émanant de personnes dont c’est le métier d’informer (sinon d’instruire, encore moins d’éclairer…) le public.
Le soir même, Jérémie Bossone et les quelques personnes mises au courant en ont ri et plaisanté jusque sur la scène où il était programmé. Pas chez « Michou » !
Quand un critique écrit que tel artiste nous « transporte », par exemple, cela ne signifie nullement que le concert a lieu dans un TGV. C’est une image. Il en va de même pour ce que Valérie Lehoux a considéré comme une « terrifiante » reprise. C’est une façon de dire qu’elle n’a pas aimé du tout. C’est son droit, tout comme nous pouvons, bien sûr, ne pas partager ce point de vue. Si j’ai évoqué ce méchant coup de griffe, c’était surtout pour souligner que la critique véritable pouvait être autre chose que ces formules dithyrambiques qui dégoulinent abondamment à propos du moindre spectacle ou de la moindre sortie de CD, à nous faire croire parfois qu’il s’agit à chaque fois du spectacle ou du CD du siècle. Et tout le monde sait que ça n’est pas vrai.