Guy Béart aura eu une carrière assez courte au total, de la fin des années cinquante au début des années quatre-vingt. Ce qui n’est déjà pas si mal, même si on l’avait un peu oublié depuis. Il vient de mourir. Il est mort en allant chez le coiffeur, ce qui est simple et élégant, comme ses chansons.
Il sera l’un des derniers chanteurs « à texte » (avec Claude Nougaro) à réussir à s’imposer, « passer les mailles du filet », dira-t-il, au moment où la vague des « yéyés » envahissait le paysage de la chanson française en emportant pratiquement tout sur son passage, y compris Serge Gainsbourg*, de la même génération et de la même école (le cabaret de la Rive gauche).
Guy Béart fut un peu oublié, mais pourtant son œuvre est très intéressante et devrait tôt ou tard trouver sa juste place dans l’histoire du répertoire. Du moins le souhaitons-nous.
L’originalité de Guy Béart, formidable mélodiste, aura été de ramener la « chanson à texte » vers les racines de la chanson traditionnelle ou folklorique, comme on disait à l’époque. Il a systématisé ce qui était déjà à l’œuvre chez Georges Brassens, dont les chansons renferment des références explicites (dans la forme et dans le fond) à la chanson traditionnelle et à la poésie (aussi bien celle du Moyen Age que celle du XVIIIe ou du XIXe siècle).
L’écriture de Guy Béart est peut-être moins littéraire que celle de Brassens, mais elle est plus directe, plus simple, plus « moderne ». S’appuyant sur les formes de la chanson traditionnelle, Guy Béart aura cependant traité des sujets contemporains, moins « intemporels » que ceux de Brassens. Béart a parlé de son époque et la langue de son époque en traitant musicalement ses chansons comme des chansons folkloriques dans lesquelles on entend parler de téléphones, de voitures, de télé, de bombe à neutrons, etc.
Près de quarante ans plus tard, on constate à leur écoute que nombre d’évocations restent actuelles (au hasard : le dopage dans le Tour de France (!) dans La Vérité, les médias et le sensationnel dans Tournez rotatives, etc.). De nombreuses chansons de son répertoire sont des témoignages de leur époque, traitées avec des formes de chansons « traditionnelles » héritées d’un passé indéfini. Au début des années soixante-dix, il a d’ailleurs consacré deux albums aux chansons du patrimoine français anonyme. C’est vrai que la période était propice au « folk », alors à la mode, mais il s’agissait surtout du « folklore » américain. Guy Béart a eu le mérite de nous rappeler que nous avions aussi de belles « très vieilles chansons de France ».
C’est peut-être, entre autres, cet aspect folklorique de ses chansons qui lui aura valu le statut de ringard qui est encore le sien, depuis un bon moment**. Loin des textes alambiqués et poétiques chantés sur des musiques peu dansantes par les dernières vagues de la Rive gauche, et loin du rock’n’roll pour les kids, il a tracé un chemin très original en écrivant des chansons populaires, dans le sens le plus noble et le plus ancien du terme. Ce fut un apport considérable au répertoire dont avec un peu de recul nous devrions finir par mieux apprécier l’importance. Toutefois, comme n’importe quelle œuvre, celle de Guy Béart reste maintenant, ce qui concerne sa postérité, à « l’épreuve du futur ».
LTG
* En revoyant le célèbre extrait (« culte », dit-on) de l’émission de Bernard Pivot (Apostrophes) où Gainsbourg et Béart s’opposent sur la question de savoir si la chanson est un art mineur ou un art majeur, on peut se demander si l’animosité (et la vulgarité) de Gainsbourg à l’encontre de Béart ne venait pas du simple fait que ce dernier avait osé esquisser un petit rire à l’énoncé de la « carrière » de peintre du jeune Serge, qui expliquait à Bernard Pivot être passé en quelques années seulement du « figuratif » au cubisme, puis au surréalisme ! Une sorte d’écho à un nomadisme musical qui a fait sa fortune ensuite. Béart (hors champ) semble en avoir ri, ou souri ?
Sans doute Gainsbourg fut-il blessé dans son narcissisme. En tout cas, son immaturité et la prétention de ses propos péremptoires sur l’art apparaissent bien ridicules aujourd’hui. Ce qui, bien sûr, n’enlève ni n’apporte rien à son talent et son savoir-faire d’auteur de chanson.
** Il semblerait que les comiques de télévision soient aussi pour beaucoup dans la « ringardisation » de Guy Béart, qu’ils moquèrent à satiété (pour une raison que j’ignore), en particulier Les Nuls, qui sévissaient sur Canal. Gageons que ses chansons n’en ont cure, et qu’elles suivront leur destin.
Hôtel-Dieu, paroles et musique de Guy Béart
Salut
Une des raisons du conflit entre Béart et Gainsbourg remonte en 1964, ils avaient fait une tournée en Afrique, et Gainsbourg a piqué trois musiques à un artiste africain, et Béart n’avait pas aimé. Et il le lui a dit. Les droits ont été restitués à l’auteur en 86, l’année du fameux « Apostrophes »… Après procès.
« Il s’agit de pièces prises telles quelles de l’album Drums of Passion du percussionniste natif du Nigeria Babatunde Olatunji. Marabout est en fait Jin-go-lo-ba, Joanna contient Kiyakiya et New York U.S.A. n’est autre que Akiwowo.* Le plagiat ne sera cependant pas passé inaperçu ; il faudra attendre jusqu’en 1986 pour qu’Olatunji soit crédité sur les chansons. » (Source B. Dicale.)
Ces « anecdotes » sont connues (du moins de ceux que ces questions intéressent), mais en revoyant, et réécoutant surtout, cette séquence j’ai été frappé par le fait que l’altercation commence au moment où Gainsbourg parle de sa « peinture » et où Béart (qu’on ne voit pas) apparemment ricane. Le « génie » mal rasé de la chanson était touché dans son image savamment construite d’artiste peintre « maudit » qui brûla un jour toute son oeuvre, image à laquelle il avait sans doute fini pas croire lui-même. Pierre Delorme
Bravo et tout à fait d’accord avec votre analyse, y compris pour ces propos ridicules, et finalement ringards, de Gainsbourg, lui qui se targuait par ailleurs de modernité. A propos de modernité, les chansons de Béart sur l’espace n’ont pas pris une ride : Etoiles garde à vous ! Voyageur de rayons, Les enfants sur la lune… et aussi, Les collines d’acier (quand je chante cette chanson, la plupart des auditeurs ne trouvent pas de qui elle est…).
Bravo pour l’analyse bien vue. Pour ce qui est du conflit avec Gainsbourg, je crois que ça remonte à 58, ils étaient tous deux aux Trois Baudets. Gainsbourg ramait avec son poinçonneur tandis que Béart a rencontré assez vite le succès (y compris auprès des dames, ce qui agaçait Gainsbourg). J’ai aussi revu l’émission « Apostrophes » en entier (grâce à l’INA). On oublie de citer un autre passage de l’émission où Pivot dit à Gainsbourg : « Mais alors, toutes vos chansons sont des œuvres mineures ? » Gainsbourg : « Oui ! » Puis , au bout de trois secondes, il ajoute : « Sauf Melody Nelson… et les chansons pour Charlotte… et pour Jane. » Il recommençait à dire n’importe quoi, ou plutôt à faire de la promo pour le disque de Charlotte Gainsbourg.