Sur la carte postale on voit des
4 CV, des 403, des Dauphines, des R 8, des 2 CV. Et aussi des jeunes gens dont les cheveux poussent au-dessus des oreilles. Des jeunes filles montrent leurs genoux et défont leur chignon. Dans le lointain, on entend les voix de leurs parents qui ressassent la guerre et les privations en contemplant leur frigo tout neuf, et de Gaulle qui fait des discours à la télévision. Les vieux messieurs ont tous une petite moustache étroite sous le pif, et ils portent tous le chapeau, la casquette ou le béret. Les vieilles dames sont habillées de noir ou bien alors de blouses à fleurs, elles sont coiffées de fichus. Ces vieux-là et ces vieilles-là disent toujours : « On ne vous apprend donc rien à l’école ? De mon temps… Il leur faudrait une bonne guerre ! » Les familles regardent le feuilleton pour tous sur la chaîne unique de la télé. L’industrie du disque vend à la pelle des 45-tours pour la jeunesse. La chanson française poétique connaît un âge d’or, après lequel on court encore aujourd’hui. On fume des gauloises sans souci. Les groupes anglais fleurissent tous azimuts, l’Amérique est encore exotique et fait rêver les « teenagers » que nous sommes, assis en rond comme des Indiens autour de nos Teppaz. Certains apprennent par cœur les noms des musiciens au dos des pochettes de disques et les récitent comme des incantations. On se roule des pelles dans les boums. Le passé et le futur se télescopent, ça fait des étincelles. On s’arrache à la chrysalide d’un vieux monde, papillons tout neufs, on rêve de fleur en fleur, de chanson en chanson. Au dos de la carte postale nous attend l’âge adulte et ses regrets, comme chantera plus tard Souchon.
Carte postale à jamais coincée dans la boîte, avec un timbre de l’époque, qui n’a plus aucune validité. Tout augmente et tout change. Les chansons aussi.
Pierre Delorme
Je vois un énorme poste de radio posé au-dessus de mon lit, et j’entends la voix de Stéphane Pizella qui m’emmène dans ses nuits du bout du monde…
Mon papa à moi il avait une Juva 4 et il en était très fier. Nous, les petits, on montait derrière.