Thomas Dutronc a un souci. Je sens déjà que ça vous contrarie, alors, je vous explique. Eternels jusqu’à demain, son troisième album, s’ouvre sur « une ballade très prenante, une chanson climatique ». Elle s’appelle Aragon cette chanson. Et ça commence comme ça : « Tout est affaire de décor / Changer de lit changer de corps / À quoi bon puisque c’est encore / Moi qui moi-même me trahis […]. » Recevant Thomas Dutronc à Europe 1 le 5 juillet dernier, Thierry Lecamp, l’animateur d’On connaît la musique, avance que les paroles disent à tous quelque chose, n’est-ce-pas, Léo Ferré a chanté Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui mais, assure le chanteur, « ç’a été un hasard, on savait même pas que Léo Ferré avait fait une version ».
J’en devine qui sourient déjà… Eh bien, vous savez quoi ? Moi, je lui accorde le bénéfice du doute – même si, bizarrement, il n’a retenu de « Bierstube Magie allemande », le poème du Roman inachevé qui a servi de matrice à son Aragon, que des vers préalablement sélectionnés par Léo Ferré pour Est-ce ainsi que les hommes vivent ? D’abord, une personne de confiance m’a dit qu’il était très gentil avec le petit personnel des festivals et généreux avec son public, Thomas Dutronc. Ensuite, je ne voudrais pas faire de peine à sa maman. Et enfin, allez savoir si, grâce à lui, Louis Aragon ne va pas gagner quelques nouveaux lecteurs (zut, là, c’est à Floréal que je vais faire de la peine). D’autant que, comme le jeune Dutronc l’a dit, toujours chez Thierry Lecamp : « Aragon […] est un des titres qui ont le plus de buzz sur internet. » Croyez-vous que ça l’amadoue ? Pas du tout, pas du tout. Il en profite pour placer un crochet : « [l]es radios, vous-même et vos confrères ne veulent pas passer ce titre, parce que c’est pas assez radiophonique […]. [T]outes les radios passent à peu près la même chose. Du coup, y a trois-quatre radios, et si vous êtes pas pris par ces trois-quatre radios importantes, personne vous écoute et c’est foutu. » Le direct au foie suit de près : « [J]e fais des promotions, je vous parle et je parle aux gens comme ça chez eux, pour essayer de leur expliquer le diktat des radios. » Alors, vous là, les gens, deux choses : pour commencer, avertissez Jacques Bertin que son âme vient de recevoir un renfort inespéré*. Après, sur votre élan compassionnel, vous pouvez acheter Eternels jusqu’à demain pour encourager le néo-rebelle.
Et tant que vous avez la main sur vot’ bon cœur, répondez donc à l’appel de Lucas Roullet-Marchand et Matthias Bouffay. Ces deux jeunes gars reprennent A Thou Bout d’Chant, petite salle lyonnaise dédiée à la chanson. Le mieux c’est de les écouter parler de leurs projets (voir ci-dessous). Du haut de leurs cinquante ans à eux deux (je précise, vu que dans le contexte c’est pas évident), ils le font avec humour et sourire. Sont pas du genre à nous la jouer « C’est-terrible-c’est-affreux-la-chanson-elle-va-mourir ». Plutôt à se gausser de la nuance « française / francophone ». Cela dit, ils font les malins, mais je ne suis pas sûr qu’ils connaissent La Chanson du scaphandrier par Jacques Douai.
René Troin
* Allusion à Quand recevrons-nous des renforts, mon âme ?, une chanson de Jacques Bertin, infatigable pourfendeur de « cette machine à décerveler, qui commença par l’industrie du disque et des variétés des années soixante, qui est maintenant l’industrie culturelle et de la communication […] ». (Policultures n° 193).
Thomas Dutronc visite Londres.
Il a l’air vraiment bien leur projet. J’aime beaucoup leur manière d’en parler.
Thomas Dutronc.
Ah ! Ce n’est pas inintéressant…
Épique Époque!
Thomas Dutronc.
Les temps sont difficiles…