Comme l’a souligné Floréal(1), les propos indignés sur la suppression de nombreux festivals se bousculent sur les réseaux sociaux. Déjà, au printemps 2012, j’avais relevé un commentaire pessimiste quant à l’avenir des chanteurs néo-rive gauche sous la présidence, alors naissante, de François Hollande. Il n’y a pourtant pas là de quoi s’inquiéter. En effet, que faut-il pour fleurir dans ce champ artistique ? Un dictionnaire de rimes (on trouve des occasions à peine cornées), un tabouret pour poser le pied de son choix ou pour s’asseoir (tout dépend de l’option défendue par votre formateur en « gestion de la scène »), une guitare sommaire et un copain qui s’y connaît un peu pour l’accorder(2). Rien dans cette énumération n’exige de subvention publique. En fait, au cas où les budgets culturels viendraient à disparaître tous, les chanteurs-néo rive gauche seraient les derniers artistes à pouvoir s’exprimer. Ça peut faire peur.
Passé cette provocation gratuite (dont on appréciera quand même qu’elle ne coûte rien aux contribuables), penchons-nous sur la Cartocrise qui, jour après jour, depuis le 23 janvier dernier, documente rien moins que la mort de la culture française(3). Mais surtout, entrons dans l’image en cliquant sur les punaises de couleur – une à une. Bien sûr, ça prend du temps (moi, ça m’a pris cinq heures) : Émeline Jersol(4), à l’origine de cette initiative, ayant demandé aux contributeurs de toujours citer une source fiable, la plupart ont joint qui un article de presse, qui un communiqué… Un sérieux dans la démarche et des précisions qui permettent de dépasser l’émotion pour dresser quelques constats et engager une première réflexion.
Des festivals, structures et associations recensés ici, les premiers sont les plus nombreux à disparaître(5) : une centaine dans un pays qui en compte quelque deux mille ! Si la culture meurt, son agonie va être longue – ce qui laisse le temps d’organiser la riposte…
La raison générale de ces suppressions tient, bien évidemment, dans les restrictions budgétaires. Cela dit, les contempteurs de la réaction, qui glosent parfois sans savoir, devront se contenter d’une vingtaine d’annulations de manifestations par une mairie de droite élue l’année dernière. Les mêmes seront sans doute chagrinés d’apprendre que, du côté de Lesparre-Médoc (Gironde), un sapeur-pompier classé « divers gauche », a coupé à la hache le lien – une convention vieille de trente-cinq ans – entre l’association du centre culturel et la municipalité. Histoire d’égratigner équilibré, soulignons que plus en haut géographiquement, et à droite politiquement, à Meaux, le député-maire Jean-François Copé et le directeur des Musik’Elles s’accordent pour mettre la « suspension » du festival sur le dos de la réforme des rythmes scolaires. On en conclura que dans la capitale de la Brie, c’est fromage ou dessert.
Du côté de la chanson, la fin d’Alors… Chante ! a fait couler beaucoup d’encre. À titre personnel, si ce festival trouve refuge dans une commune voisine (on parle de Castelsarrazin), je ne regretterai pas Montauban dont la maire, Brigitte Barèges (UMP), s’est quand même illustrée en lançant « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? » (c’était de l’« humour ») au moment du débat sur le mariage pour tous et en évoquant la « préférence nationale » en matière d’emploi. Désolé, mais ça me fait chanter de travers… juste avant de m’étrangler en découvrant que les responsables de la Fèsta d’Òc, supprimée sans sommation par la ville de Béziers, ne désespèrent pas de faire revenir le nouveau maire (il y a des noms que j’évite d’écrire !) sur sa décision… Je m’interdis généralement de faire parler les morts, mais il me semble qu’Yves Rouquette se passera volontiers de l’hommage qui devait lui être rendu.
Et puis, sans qu’il y ait forcément motif à s’énerver, tous les festivals annulés méritent-ils qu’on se mobilise ? Entre Les Mouvementées qui faisaient danser, jouer et funambuler les rues de Mimizan trois jours en juillet et un festival de rock mort de n’avoir pu avaler des cachets de plus en plus gros, on peut peut-être faire un choix. Sauf à Calvi (Haute-Corse). Là, on sera sur tous les fronts. La ville a perdu le Festival du Vent, le Jazz Festival et l’Open national de pétanque. De quoi avoir les boules…
René Troin
(1) Pour relire l’édito de Floréal :
(2) Je ne fais ici allusion qu’aux grattouilleurs de peu d’accords. Les chanteurs à tabouret qui possèdent leur guitare, classique, folk ou brésilienne sur le bout des doigts ont tout mon respect, voire mon admiration.
(3) La Cartocrise a pour sous-titre « Culture française tu te meurs ».
(4) Médiatrice culturelle au Boulon, un centre national des arts de la rue situé dans la banlieue de Valenciennes.
(5) Deux ou trois sont remplacés par d’autres, mais ne chipotons pas.