J’aime bien relever de courts extraits de textes sur lesquels je tombe au gré de mes lectures sur le Net. Ils sont parfois l’occasion de réfléchir un brin, mais le plus souvent, avouons-le, des prétextes à écrire un article pour « Crapauds et Rossignols ». En voici un exemple. Il concerne Véronique Sanson, qui connut sa véritable heure de gloire du début des années soixante-dix aux années quatre-vingt, et vient de faire une réapparition à l’Olympia. On peut lire à propos du répertoire de son récital : « Puisés dans ses “années américaines”, entre 1973 et 1981, la vingtaine de titres choisis dessinent un impressionnant florilège. Plus qu’une collection de tubes, un peu de l’histoire musicale francophone : Alia Soûza, On m’attend là-bas, Celui qui n’essaie pas (ne se trompe qu’une seule fois), Bernard’s Song (il est de nulle part), Je suis la seule, Féminin, Tu sais que je t’aime bien… Sans compter les monuments : Le Maudit, Il a tout ce que j’aime ou Monsieur Dupont. A les réentendre ainsi enchaînés, on réalise même à quel point l’artiste a réinventé la chanson francophone dans les années 70, lui insufflant un swing cuivré et électrique qu’elle ne connaissait pas. L’apport artistique est vertigineux. »
J’étais « encore » jeune dans ces années-là, mais je dois dire qu’aucun de ces titres ne m’évoque quelque chose. C’est vrai que ce style de chanson ne me passionnait pas, mais quand même… S’il s’agit vraiment de tubes, j’aurais dû m’en apercevoir à l’époque… Je me souviens de ceux de Michel Berger, de Maxime Le Forestier (toujours dans le registre « chansons qui ne me passionnaient pas ») et des premiers succès de Souchon, au moins me sont-ils restés un peu en mémoire.
Mais des chanson de Véronique Sanson… rien ! A part peut-être Besoin de personne, je ne me souviens d’aucun de ces opus cités plus haut, dont certains seraient donc des « monuments »*.
Si j’avais eu un petit frère ou une petite sœur, ça me dirait peut-être quelque chose, sans doute étais-je déjà trop « vieux », pourquoi pas ? Mais ce qui m’étonne davantage est d’apprendre que la donzelle a « réinventé la chanson francophone »… et que « son apport artistique est vertigineux ». Dame ! Ça, j’aurais dû m’en apercevoir…
Saisi d’une vague intuition, je me suis renseigné sur l’âge de la personne qui avait écrit ces lignes dithyrambiques. J’ai compris qu’elle avait été enfant, puis ado, au moment où Véronique Sanson était au sommet de sa gloire… Tout s’expliquait ainsi un peu mieux. Nous restons souvent sous l’emprise des chansons de notre enfance et de notre jeunesse. Nous les avons tant aimées qu’elles sont pour nous des « monuments ». Chacun a les siennes, alors pourquoi pas celles de Véronique Sanson ?
Le seul problème, à mes yeux, est que l’auteure de ces lignes est une journaliste spécialisée dans la chanson, employée dans un hebdomadaire culturel « dominant » bien connu en France (et jadis vendu dans les églises). Que cette personne, avec une telle fonction, et, d’une certaine manière, une telle responsabilité, n’ait pas plus de recul par rapport à ses propres goûts, me laisse pantois. Qu’elle fasse coïncider son expérience personnelle de la chanson avec l’histoire de la chanson en général, au point de penser que l’apport de Véronique Sanson fut « vertigineux » et qu’elle a « réinventé la chanson française », est le signe d’un manque étonnant de réflexion et surtout de culture « critique ».
Étonnant, mais pas bien grave. Les CD ne se vendent plus beaucoup et la journaliste peut bien écrire ce qu’elle veut, ça n’a plus grande importance. Même les salles peuvent se remplir sans son assentiment. Alors soyons cléments, après tout, ne lui suis-je pas redevable d’un article pour « Crapauds et Rossignols » ?
Pierre Delorme
* Nous l’avions déjà évoqué sur le site, dans un article intitulé « Des chansons comme des montagnes », certaines chansons peuvent sembler être des monuments, « mais comme les montagnes, leur hauteur diminue à mesure qu’on s’en éloigne, avant de disparaître complètement à l’horizon ».