Cet article, rédigé au lendemain du Marathon de la chanson du 23 novembre 2014 à Paris, n’avait pu être publié ici pour cause de disparition du site, indépendante de notre volonté. Mon blog personnel l’avait accueilli en attendant la résurrection des Crapauds et Rossignols. Voilà qu’il peut enfin trouver sa vraie place.
En décidant, lors de notre dernière assemblée générale, de mettre fin en chansons à l’aventure de l’association Thank you Ferré, débutée il y a vingt ans, nous pensions d’abord organiser un spectacle de facture classique, un peu calqué sur les soirées de soutien au Forum Léo-Ferré organisées en ce lieu, chaque fin de saison, en compagnie de cinq ou six artistes. Cela posait d’emblée, évidemment, un sérieux problème de choix, compte tenu du nombre important d’artistes programmés au cours des dix années où notre équipe de bénévoles présida à la destinée de cette salle. Par ailleurs, dans l’éventualité d’une dissolution de notre association, sans raison d’être désormais, il nous fallait confier l’organisation de l’événement à venir à une structure extérieure, afin de ne pas repousser encore davantage, sur le plan administratif, cette dissolution. Il faut ajouter à cela que, habitués à un repos mérité depuis deux ans maintenant, nous n’avions guère l’envie de nous replonger dans le travail. Et quel travail !
En confiant l’organisation de ce spectacle à Didier Pascalis et à son équipe, de la maison de production Tacet avec laquelle il nous était arrivé de collaborer sans connaître les mêmes soucis qu’avec d’autres, censément plus proches et cependant moins amicaux ou scrupuleux, la question logistique se voyait réglée. Restait la partie spectacle. Que faire ? L’idée, lumineuse, vint de Xavier Lacouture, qui s’était joint à l’équipe Tacet pour nous proposer ce Marathon de la chanson, symbole tout à la fois de l’activité qui fut la nôtre et de sa durée.
Un marathon, c’est 42 kilomètres, tout le monde sait cela. Il s’agissait donc de faire se succéder sur scène quarante-deux artistes, chacun interprétant deux chansons, le tout réparti sur quatre sessions entrecoupées par trois entractes. Entre 12 heures et 21 heures, dans une salle de 600 places, l’Alhambra, six heures de spectacle, donc, et trois fois une heure de pause permettant de grignoter, de boire, de prendre l’air, de fumer, de discuter. C’était là un véritable défi, bien sûr, mais l’idée était fort séduisante, et nous n’avions pour seule tâche que d’en établir la programmation, en piochant parmi les artistes qui vinrent chanter sur la scène du Forum entre 2001 et 2012. Ce qui fut fait, non sans mal d’ailleurs, malgré le nombre important de candidats pressentis, dans la mesure où nous disposions d’une liste étoffée, susceptible de fournir pour le moins trois autres marathons. Peut-être convient-il de préciser ici, pour illustrer les liens amicaux nous ayant unis aux artistes, que lorsque la liste des quarante-deux fut établie, à l’été 2014, nous avions constitué par prudence une « liste de secours », moins fournie, car nous pensions que parmi ces quarante-deux il s’en trouverait sans doute quelques-uns d’indisponibles à la date fixée, le dimanche 23 novembre, ou peu enthousiastes, parmi les provinciaux, à l’idée de parcourir des centaines de kilomètres jusqu’à Paris pour venir chanter deux chansons seulement. Or cette « liste de secours » se révélera totalement inutile, les quarante-deux « nominés » ayant aussitôt donné leur accord.
Une fois encore, une fois de plus, il faudra peut-être souligner le fait que le succès de cette journée ne doit rien au monde médiatique. Si Télérama a cru bon d’évoquer l’existence de ce Marathon, l’article n’aura été d’aucune utilité quant à la venue du public, l’Alhambra affichant déjà complet au moment de sa parution, quatre jours seulement avant l’événement. Par compassion, on évitera d’ailleurs de qualifier ici cet écrit tardif dans lequel le Marathon est confondu avec un autre spectacle ayant lieu le lendemain dans un autre endroit de la capitale. On songera aussi avec amusement à l’inévitable étonnement du lecteur régulier de cette publication phare de la pensée culturelle, soudainement averti que la programmation du Marathon constitue « le meilleur de la scène française », quand la plupart des artistes qui la composent n’ont jamais eu droit, dans les pages de cet hebdomadaire, au moindre article digne de ce nom.
Il ne m’appartient évidemment pas de m’étendre ici sur ce qui aura marqué cette journée très particulière. Les comptes rendus, impressions et commentaires multiples parus ici et là permettront aux intéressés n’ayant pu y assister de se faire une idée précise de son organisation et de sa qualité artistique. Sans doute peut-on souligner toutefois l’une des heureuses surprises de cette journée, qui aura vu la salle de l’Alhambra archicomble dès le début du spectacle, à 12 heures, et le rester jusqu’aux adieux de notre équipe, sur scène, autour de 21 heures. Côté artistes, nombreux sont ceux qui auront manifesté auprès de nous, entre autres, le plaisir d’avoir pu se retrouver si nombreux, ensemble, le temps d’une journée.
Pour nous, bénévoles de l’association Thank you Ferré, pour une fois spectateurs privilégiés, l’émotion aura bien sûr dominé, neuf heures durant, alimentée par les quarante-deux artistes tour à tour présents sur scène et par les témoignages spontanés et chaleureux des spectateurs. Et pour les plus anciens de cette équipe, je crois bon, en guise de conclusion, de laisser la parole à l’ami Louis Capart qui, dans un message, a fort bien résumé ce qu’aura représenté cet événement mémorable, point final d’une longue et belle aventure : « Journée exceptionnelle, avec autant de bonheur que de tristesse. La fin de Thank You Ferré va au-delà du Forum et nous replonge avec émotion dans d’autres moments au Trianon, moments qui faisaient suite au TLP* et, plus loin encore, à la naissance de la radio**. Une page se tourne pour le Forum mais aussi pour nous, notre propre histoire personnelle sur deux, voire trois décennies. Ce fut magique. Instants de partage d’une rare intensité. Merci pour tout. »
Floréal Melgar
* TLP : Théâtre libertaire de Paris. C’est le nom qu’avait donné au théâtre Déjazet dont ils furent les gérants, entre 1986 et 1992, des militants libertaires qui devaient quelque temps plus tard créer l’association Thank you Ferré.
** Il s’agit bien sûr de Radio-Libertaire.
Les quarante-deux artistes programmés : Vincent Absil, Isabelle Gordien-Aichhorn, Alain Aurenche, Michèle Bernard, Jacques Bertin, Frédéric Bobin, Michel Boutet, Michel Bühler, Christian Camerlynck, Louis Capart, Céline Caussimon, le Cirque des Mirages, Annick Cisaruk, Henri Courseaux, Bruno Daraquy, Yvan Dautin, Emmanuel Depoix, Jean Dubois, Claire Elzière, Entre 2 Caisses, Philippe Forcioli, Rémo Gary, Jean Guidoni, Marc Havet, Bernard Joyet, Xavier Lacouture, Gilbert Laffaille, Pierre Lebelâge, Hélène Maurice, Albert Meslay, Nathalie Miravette, Gérard Morel, Véronique Pestel, Gérard Pierron, Jean-Michel Piton, Gilles Roucaute, Annick Roux, Francesca Solleville, Anne Sylvestre, Béa Tristan, Laurent Viel, Wally.
On l’a déjà dit, mais il n’est pas inutile de le redire, autant par le choix des invités que par l’organisation, je n’ai jamais vu ou vécu une telle journée. Une vraie démonstration de professionnalisme et de créativité dont pas mal d’organisateurs devraient s’inspirer. Chapeau bas à tous.