C’est samedi. Pierre chante, Floréal mange du gâteau d’anniversaire (ce n’est pas le sien, rangez vos formules)… Qu’est-ce que je pourrais trouver comme excuse pour ne pas me coller à l’édito ? Je suis déjà allé courir, et comme le mistral souffle froid, je vais avoir du mal à faire croire à mes deux acolytes qu’il fait beau à se jeter dans la mer de janvier. Bon, le plus gros du travail est fait : comme vous m’avez lu jusqu’ici, vous avez constaté que Crapauds et Rossignols sont de retour dans leur maquette d’origine. Qu’ajouter, sinon que c’était inespéré… Cela dit, nous ne vous avions jamais tout à fait quittés, même si vous n’étiez pas nombreux à le savoir. Depuis le 6 décembre dernier, réfugiés sur un blog de fortune, nous avons lancé quelques bouteilles dans l’espace virtuel. Dont des vœux en trois rounds, auxquels vous avez peut-être échappé. Alors, comme il est encore temps… RT
Un jour, dans une entreprise de presse où je travaillais, il y a longtemps de cela, quelques collègues, profitant d’un moment de répit, se mirent à parler de théâtre. Plusieurs d’entre eux s’y rendaient régulièrement et aimaient à échanger leurs impressions. Il y avait là une collègue, proche d’un départ en retraite, qui écoutait sans mot dire. Puis quelqu’un eut l’idée de lui demander s’il lui arrivait parfois de se rendre à une représentation. « Ah ! non, sûrement pas ! répondit-elle sur un ton catégorique. Moi dans ma jeunesse j’ai vu Gérard Philipe sur scène. Et quand on a vu jouer Gérard Philipe, on ne peut plus aller au théâtre après ça ! » Un lourd silence s’ensuivit. Si je n’avais qu’un vœu à dire, moi qui suis désormais à la retraite, c’est de ne plus avoir l’impression de retourner au boulot face à cette collègue, quand on parle de chanson avec certaines personnes qui un jour ont vu Léo Ferré ou Allain Leprest sur scène.
Floréal Melgar
Si je n’avais qu’un vœu à dire, ce serait de ne plus lire ni entendre que la radio et la télé, c’était mieux avant. Pour la chanson, ces deux médias marchent à ce qui plaît au présent. Et dans le passé – notre présent à nous, faut-il le rappeler ? –, c’était tout comme. Autant que je me souvienne, au mitan des années soixante, on n’entendait ni ne voyait à longueur d’ondes Fréhel, Damia ni même Trenet. Mais plutôt Ferrat, Brel, Barbara, Tachan ou Fanon, voire des seconds couteaux comme Gougaud, qui étaient d’actualité. La mode est passée pour eux et les « héritiers » qui chantent dans leur sillon. On les diffuserait aujourd’hui à dose de cheval que je ne suis pas sûr, comme certains se plaisent à le prétendre, qu’ils enthousiasmeraient une large portion de la jeunesse. Et puis, il y a d’autant moins à regretter, que la jeunesse, elle ne regarde plus guère la télé et n’écoute pas la radio de (grand-)papa. Alors, en attendant que la mode revienne – car elle reviendra, c’est fatal ! –, laissons-la, la jeunesse, remonter au hasard du temps, faire ses découvertes sur YouTube, Deezer ou Dailymotion. Sans nous en mêler. Surtout.
René Troin
Si je n’avais qu’un vœu à dire, ce serait de pouvoir continuer à explorer encore les mondes disparus de « ma » chanson, comme un Patrick Modiano (au petit pied) arpentant les rues de « son » Paris en essayant de retenir ce qui s’enfuit et disparaît. Ça serait de ne plus me casser la tête à faire semblant d’apprécier la chanson d’aujourd’hui, qui ne me concerne pas beaucoup et souvent m’ennuie. Je voudrais continuer à rêver et tomber parfois amoureux sur des chemins chansonniers qui font des méandres dans ma mémoire (à partir d’un certain âge on n’est plus guère amoureux que de souvenirs). C’est tout, mais pour moi c’est déjà beaucoup. Et pour finir, dédier à tous ceux qui, fidèles aux goûts de leur passé, dénigrent ou nient ceux du présent et de la jeunesse, ces quelques vers de Charles Trenet :
Fidèle, fidèle pourquoi rester fidèle
Quand tout change et s’en va sans regrets
Quand on est seul debout sur la passerelle
Devant tel ou tel monde qui disparaît
Quand on regarde tous les bateaux qui sombrent
Emportant les choses qu’on espérait
Quand on sait bien que l’on n’est plus qu’une ombre
Fidèle à d’autres ombres à jamais.
(Charles Trenet, Fidèle)
Pierre Delorme