Certaines chansons nous plaisent, et sans doute nous correspondent, au point de penser qu’elles disent « tout », et en mieux, ce que les autres chansons peinent à exprimer. Elles semblent contenir l’ensemble de nos sensations face à la vie, et résumer « l’état d’esprit » dans lequel nous vivons. Des chansons de ce genre, il y en a peu, deux ou trois pour toute une vie. Chacun a la sienne, ou les siennes. Celle(s) dont on parle à ses amis ou connaissances en disant : « Ah, celle-là !… » On n’en dit généralement pas beaucoup plus, puisqu’elle contient tout l‘indicible cette chanson-là, tout ce qu’on ne saurait pas dire soi-même et qui semble tenir en quelques mots et quelques notes.
Les paroles, analysées froidement, ne racontent pas forcément grand-chose et la mélodie n’a rien de bien extraordinaire, mais on y projette beaucoup de choses, qui dépassent même sans doute les intentions de l’auteur. C’est une sorte d’affaire intime entre cette chanson et soi, et l’auteur n’a plus rien à y voir.
D’ailleurs, les auteurs ne sont pas vraiment très importants, ils ne sont qu’un support malléable. Nous nous en faisons volontiers l’idée qu’il nous plaît de nous en faire ! Une dame me parlait un jour de son mari qui adorait Jacques Brel : « Ah, Brel et Patrick… », me dit-elle, comme s’il s’agissait d’une passion amoureuse, une relation qui devenait la caractéristique principale de Jacques Brel : être aimé de Patrick ! Quelqu’un d’autre m’a raconté qu’il avait toujours imaginé que Georges Brassens serait la personne qui viendrait l’accueillir au Ciel à l’heure de sa mort !
Nous aimons bien entretenir une sorte de rapport exclusif avec un chanteur ou une chanson, qui devient « mon » chanteur ou « ma » chanson.
Pour revenir à la chanson qui dit « tout » mieux qu’un long discours, chacun saura bien de quoi je veux parler, l’expérience est commune à beaucoup d’amateurs de chansons. L’âge venant, toutefois, il peut arriver que cette chanson qui parlait pour nous n’ait plus l’air de dire grand-chose. On s’aperçoit alors que le « tout » n’est jamais bien loin du « presque rien »… mais « rien c’est déjà beaucoup », comme chantait Serge Gainsbourg. Celui-là viendra-t-il nous attendre au paradis ?
Pierre Delorme
D’accord avec l’essentiel de ce qui est dit là, sur la chanson « qui dit tout mieux qu’un discours » et dans laquelle « on se projette »… Moins d’accord sur la fin, l’âge venant… Il faut dire que « ma » chanson, celle qui correspond à cette définition , c’est La Chambre de Léo Ferré. et, l’âge venant, elle est, hélas, de plus en plus juste.
Une chanson, c’est vrai, on y projette ce que l’on veut. Est-ce pour ça qu’une chanson aussi banale que « Capri c’est fini » qui peut s’adapter à toutes les circonstances un peu douloureuses de la vie, a été qualifiée de géniale par certains intellectuels ?
J’ai constaté que, très souvent, les intellectuels, et les savants en général, ont un penchant pour les chansons populaires toutes simples et peu de goût pour la chanson dite de qualité, plus ambitieuse.
Pierre Delorme