Mouloudji l’avait pourtant chanté dans sa belle chanson Faut vivre : « N’est pas Rimbaud qui veut, pardi. » N’empêche, on donne facilement du Rimbaud.
A propos du chanteur lyonnais Régis Balmelle*, un journaliste du Progrès écrivait naguère que si Rimbaud avait vécu aujourd’hui c’est à Balmelle qu’il aurait ressemblé. Pourquoi pas ? On a donné aussi du Rimbaud au jeune Leprest, et on a dit qu’Hubert-Félix Thiéfaine écrivait comme Rimbaud. Bien entendu, on a rapidement vu dans le jeune Bob Dylan une sorte de version américaine du poète. Je dois en oublier, tant on a cru souvent le voir réapparaître sous les traits de tel ou tel.
Rimbaud, c’est le mythe du génie de la jeunesse, de l’adolescence. Pour le commun des mortels, c’est surtout la photo (toujours la même) d’un jeune homme, le vague souvenir de relations orageuses et louches avec Paul Verlaine, quelques vers appris à l’école primaire, un vieux livre de poche, des images du lycée et de sa propre jeunesse.
Le mythe l’emporte sur la personne que fut Arthur Rimbaud. C’est-à-dire un poète très précoce, qui a révolutionné la poésie française en un tour de main, puis s’en est allé sous d’autres cieux, vivre sa vie. Avant lui, personne n’avait écrit des vers semblables. En un temps record, il a apporté un ton nouveau, bouleversé les alexandrins et les conventions.
La plupart des jeunes chanteurs à qui on a fait (ou à qui on fait encore) endosser ce costume bien trop grand pour eux avaient souvent du talent, le « génie » de leur jeunesse, des fulgurances dans l’écriture, mais ils n’ont rien révolutionné du tout. Ni la chanson ni la poésie.
Un ami me parlait un jour de tel chanteur célèbre, à la musique pop-rock et aux textes ésotériques, il m’a dit :
« C’est du Rimbaud, ce que fait ce gars !
– Sans doute, mais s’il fait du “Rimbaud”, il a quand même plus d’un siècle de retard ! » ai-je répondu.
Il ne suffit pas d’être jeune, créatif et fantasque, de boire, de se shooter, de prendre des allures sulfureuses, de se « dérégler les sens », pour « faire Rimbaud ». L’écriture fiévreuse et les excès sont à la portée de n’importe quel jeune homme qui a envie de jouer à ce jeu. Mais pour devenir l’équivalent de Rimbaud, il faut commencer par écrire comme soi-même et révolutionner la poésie ou la chanson de son temps, si on peut !… Ce qui est assez rare, chacun en conviendra. Et tous les petits Rimbaud à la mine boudeuse et aux caprices de poète ombrageux et alcoolisé n’y changeront rien : « N’est pas Rimbaud qui veut, pardi »…
Pierre Delorme
* Voir Comme des chiendents (rubrique « Des livres, des films »).
Et chez les femmes ? Y a-t-il une référence ultime ? Non, bien sûr. Et tant mieux !
Non, cependant dans le domaine de la chanson il y a des mythes références : Edith Piaf et Barbara. Mais pas de poétesse devenue un mythe. En fait, je crois que l’aspect androgyne de Rimbaud jeune homme entre pour une bonne part (inconsciente ) dans la perpétuation du mythe, comme dans celui du jeune Bob Dylan (magnifiquement interprété par Cate Blanchett au cinéma !), donc les références « ultimes » sont moitié femme moitié homme ! La parité est respectée !
Pierre Delorme
Leprest à ses débuts a surtout été comparé à Brel. On disait et écrivait qu’il était « le nouveau Jacques Brel ».
Par contre il a écrit une remarquable chanson, Rimbaud, plutôt ancienne, qui a peut-être induit cette comparaison…
Les « nouveaux Jacques Brel » furent nombreux, tous arrivés trop tard, Jacques Brel avait déjà eu lieu ! C’est Jean d’Ormesson qui a comparé Leprest à Rimbaud. Le texte de la chanson Rimbaud est effectivement (selon mes critères) très réussi, comme quelques autres de cet auteur.
Lui ne se prend pas pour Rimbaud, mais avoir 20 ans dans la ville du
Poète, ça marque quand même ! (comme moi !) :
Tout c´ qu´on avait, c´était nos potes
Un vieux pat´ d´eph´, une paire de bottes
Avec nos guitares à deux balles
Les new Rimbaud d´ la Place Ducale
On avait des rêves plein la tête
Y avait pas encore internet…
Vous connaissez ? Non ? Alors, cliquez sur le lien ci-dessous :
http://www.youtube.com/watch?v=xcZMDO_uqX8
Amusant. Après une engueulade sévère avec mon fils de seize ans et demi, il m’est venu dans la tête ce fameux vers : « N’est pas Rimbaud qui veut pardi ». Impossible de me souvenir de quelle chanson il était extrait. Alors je tape le fameux vers sur mon téléphone et direct me vient la réponse grâce à « Crapauds et Rossignols ». Merci Marcel Mouloudji et Pierre Delorme ?
Faut vivre, malgré les grands yeux du Néant.