Arrivé à l’âge de vingt-trois ans, Daniel Prévost, déjà comédien, a « envie de chanter ». Pierre Maguelon, dit « Petit Bobo », pensionnaire du cabaret parisien Le Cheval d’Or et futur brigadier du Tigre à la télévision, l’envoie chez Mireille. La directrice du Petit Conservatoire de la chanson accueille l’escogriffe et ses improvisations avec une bienveillance mêlée d’inquiétude. Ce 8 février 1964, l’élève agité (des bras, pour l’occasion) n’aura de cesse que de présenter « une danse nouvelle [qu’il a] inventée » : le schtrock. La création n’ayant guère dépassé le stade du prototype, on n’en saura pas beaucoup plus, sinon qu’il y a du rock dedans et peut-être un peu des Schtroumphs, déjà très populaires à l’époque. Une chose est sûre : l’exécution du schtrock exige la mobilisation simultanée de compétences physiques – « Tu frappes dans tes mains » – et mathématiques – « […] tu comptes trente-sept / Tu divises par trois si t’as une grosse tête ». A part ça, tout est normal : « C’est rythmé, ça balance. » Le schtrock ne semble pas avoir enflammé les pistes. Il faut dire que la concurrence était sévère. Climb, madison, hully-gully, letkiss, monkiss, bostella… on inventait des pas à tour de bras, et les danseurs n’avaient que deux pieds. Et puis Daniel Prévost annonçait la couleur dès le premier couplet : « Moi je suis l’idole de mon HLM / Et c’est fou ce que les locataires m’aiment / J’ai un club de fans, un VéloSoleX / Et dessus je fais du charme au beau sexe. » Le schtrock était une danse pour rire. Elle a quand même emmené son auteur jusqu’en finale des Relais de la chanson française, un concours organisé par L’Humanité Dimanche et Nous les garçons et les filles (soit Salut les copains, version presse communiste) sous le patronage de Pepsi Cola (une déclinaison gazeuse du « compromis historique » ?). Les autres finalistes qui se sont succédé le mercredi 3 juin 1964 sur la scène de l’Alhambra Maurice-Chevalier, à Paris, étaient François Néry*, Christian Bréaud, Jean-Pierre Huser et Serge Lama qui chanta A quinze ans et Le Bouffon du roi.
Un bouffon qui aurait très bien pu danser le schtrock… et pourquoi pas ?
René Troin
* Les détails relatifs à cette finale des Relais de la chanson française proviennent de la pochette du 25-cm témoin de l’événement. L’orthographe des noms propres y est assez fantaisiste (Bernard Lelou, partenaire d’écriture de
Ricet-Barrier, y est appelé Lelon). Et Néry doit s’écrire Néri. François Néri fut d’ailleurs le « lauréat 1964 des Relais de la chanson française », ainsi qu’on le lit au verso du 45 tours (le seul ?) qu’il grava chez Reflets SM. Ces deux pochettes sont reproduites sur le site encyclopédisque.fr
Parmi les nouvelles danses des sixties, vous avez oublié un monument, le Mashed Potatoes, très utile pour faire de la purée (c’était la démonstration de Jojo, son immarcescible promoteur, encore que la frite pour lui…). La culture (et la patate), c’est quand même essentiel…