La guitare aime à faire des apparitions inopinées au cinéma. Généralement elle accompagne une chanson, le temps d’une scène où le film suspend son vol.
Souvent ses courbes gracieuses font écho à celles des belles Américaines qui en jouent : Marilyn Monroe, debout sur la table d’un saloon, qui chante un One Silver Dollar dont personne n’est revenu, pas même la rivière du coin (River of No Return, Otto Preminger, 1954), Audrey Hepburn qui fredonne Moon River assise sur le rebord de sa fenêtre new-yorkaise (Breakfast at Tiffany’s, Blake Edwards, 1961). Parfois, la belle se contente d’écouter, comme Jane Russel à qui Roy Rogers donne la sérénade (Son of Paleface, Frank Tashlin, 1952). Mais attention, nos petites Françaises des années soixante ne se débrouillent pas trop mal non plus ! Brigitte Bardot, son jeu minimaliste et sa Sidonie, celle qui a plus d’un amant (Vie privée, Louis Malle, 1962), Jeanne Moreau, prise dans Le Tourbillon de la vie, accompagnée par Serge Rezvani (Bassiak) lui-même (Jules et Jim, François Truffaut, 1961), ou encore Marie Laforêt, la « fille aux yeux d’or », dont on peut regretter que la voix ne fût pas du même métal précieux, qui s’adonne aussi à la guitare en compagnie du jeune Jacques Higelin (Saint-Tropez Blues, Marcel Moussy, 1961). Claudine Longet, actrice et chanteuse, certes française, mais qui fit carrière aux États-Unis, se perd dans les méandres d’une très longue et très lente bossa nova, du moins au goût de Peter Sellers (The Party, Blake Edwards, 1968).
La guitare cependant s’abandonne parfois en des bras plus virils. Bien sûr, ceux de Sterling Hayden dans Johnny Guitar (Nicholas Ray, 1954), mais aussi ceux de Ricky Nelson, qui accompagne Dean Martin, sous l’œil attendri de John Wayne, le temps de My Rifle, My Pony and Me (Rio Bravo, Howard Hawks, 1959). Dean Martin se charge lui-même de l’accompagnement (si l’on peut appeler ça comme ça !) dans That’s What I Like, en faisant très vaguement semblant de jouer*, devant un Jerry Lewis éberlué (Living It Up ! Norman Taurog, 1954). Une performance très fantaisiste sur le plan du doigté par rapport à celle (soyons chauvins !) de Georges Brassens qui chante L’Amandier dans Porte des Lilas (René Clair, 1957).
De courbes gracieuses en gros bras, de films inoubliables en films oubliés, la guitare a fait des apparitions régulières sur les grands écrans d’ici ou d’ailleurs. Parfois même elle a douze cordes, comme celle que gratte Patrick Bouchitey et son formidable Jésus revient, dans le très détestable La vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatiliez, 1988).
Cependant, et paradoxalement, la guitare a réussi à tenir la vedette dans certains films sans avoir besoin de se montrer. Comme dans Jeux interdits (René Clément, 1952) par exemple, grâce à l’inoxydable Romance et à la guitare de Narciso Yepes, et plus récemment (mais à un degré moindre) grâce à celle de John Williams et sa Cavatina (Stanley Myers) dans The Dear Hunter (Michael Cimino, 1978). De jolies mélodies que les générations futures de guitaristes joueront peut-être encore, alors que les films auxquels elles étaient attachées auront disparu des mémoires.
Pierre Delorme
* Notons que les comédiens qui se retrouvent une guitare entre les mains le temps d’une scène ont généralement pris la peine d’apprendre à passer quelques accords, qui, même s’ils ne correspondent pas à ce qu’on entend, donnent un peu de crédit à leur jeu. La performance de Dean Martin dans Living It Up ! relève soit de la désinvolture, soit de la paresse, soit du foutage de gueule, soit des trois à la fois, bref, un chef-d’œuvre du genre !
Marilyn Monroe chante One Silver Dollar, dans River of No Return d’Otto Preminger, 1954.