Comme on a tous quelque chose, en nous, de Nougaro, on s’est dit qu’on allait faire chacun son édito. Trois éditos, donc, qui, à bien y lire, n’en font peut-être qu’un.
Je me souviens d’une interview dans laquelle Claude Nougaro, pourtant déjà très célèbre, regrettait de ne pas être considéré comme un « grand chanteur français ».
Il ne bénéficiait pas, c’est vrai, de la même aura que les « grands » de la chanson, à savoir Brel, Brassens, Ferré et Barbara.
Aujourd’hui, les médias l’estiment tout de même suffisamment important pour signaler le dixième anniversaire de sa disparition. Le journal Libération parle à son sujet d’un « monstre sacré » de la chanson.
Nougaro a toujours occupé une place un peu à part dans le cercle restreint des grands chanteurs populaires. On peut peut-être l’expliquer, en partie, par la « modernité » et la singularité de son répertoire. Modernité et singularité d’un style musical fortement marqué par le jazz, qui apparaît à un moment où la chanson française est en train de se cliver, la tradition du cabaret ou du music-hall d’un côté et le rock and roll des « idoles » de l’autre. Modernité aussi des sujets d’inspiration qui évoquent (à l’instar de Guy Béart) les réalités de l’époque
(le cinéma, les stars, la bombe atomique), à la différence des Brel, Brassens et Barbara (et, dans une moindre mesure, Ferré) dont les univers poétiques sont plus ancrés dans le passé.
Peut-être est-ce aussi son goût pour le jeu avec la langue, tenant d’une certaine manière à distance toute forme de lyrisme (cher aux amateurs de chanson
« à texte »), qui l’a empêché d’être reconnu à l’égal des « grands » cités plus haut.
Il nous laisse pourtant, à mon avis, un bon nombre de chefs-d’œuvre, difficilement classables, mais qui ne demandent qu’à être découverts ou redécouverts, comme Bleu Blanc Blues, par exemple.
Pierre Delorme
Il fut une époque où je travaillais près du métro Sentier, dans l’ancien quartier de la presse, à Paris. J’avais l’habitude, durant les pauses déjeuner, de me rendre dans la boutique des Nouvelles Messageries de la presse, rue Montmartre. Un jour, alors que j’étais en train de feuilleter un bouquin dans cette boutique, un monsieur, derrière moi, me demande soudain si je savais où étaient exposés les quotidiens de province, car il souhaitait acheter un journal de la région toulousaine. C’était Claude Nougaro. Je l’ai accompagné devant le présentoir des journaux régionaux. Et là je lui ai demandé si je pouvais lui serrer la main. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai expliqué à quel point il m’avait ému la première fois où je l’avais vu et entendu à la télévision, sur l’écran d’un téléviseur en noir et blanc, chez mes parents. Il chantait Une petite fille. Il m’a proposé alors de prendre un verre dans un café tout proche, et j’ai passé là un petit moment à discuter avec lui. J’en garde un autre souvenir ému.
Floréal Melgar
Moi, c’est dans la radio familiale qu’elle courait la petite fille. J’avais dix ans. Devant le poste, j’imaginais la rue de Rivoli. Des années plus tard, je l’ai vue pour de vrai cette artère : elle n’était pas du tout comme dans
ma tête. J’aimais ces chansons de Nougaro, qui provoquaient des pluies d’images : Les Don Juan, Je suis sous…, Le Cinéma… Et, grâce à A bout de souffle, j’ai aussi appris que le jazz ne s’arrêtait pas à Sidney Bechet et à ses affluents Claude Luter et Maxim Saury. D’autres titres me viennent sans que j’aie à chercher : Quatre boules de cuir, Sing Sing Song, La pluie fait des claquettes, Paris Mai, Il y avait une ville… Et puis plus rien, enfin si, un titre me happait de-ci, de-là : Assez !, Dansez sur moi, Il faut tourner la page… Mais Nougayork m’est passé très au-dessus des oreilles. Et je dois l’avouer : j’ai raté Bleu Blanc Blues. Mais celui-là, je crois que je vais essayer de le rattraper.
René Troin
Beaucoup de livres fleurissent aujourd’hui à l’occasion des dix ans de la disparition de Nougaro. Pour avoir rencontré plusieurs fois ce grand artiste, je peux confirmer la citation de Pierre Delorme : Nougaro souffrait de n’être pas reconnu à part entière. Libération peut bien aujourd’hui parler d’un « monstre sacré »… Ce journal ne s’exprimait pas ainsi à l’époque et lui préférait nettement Gainsbourg. Mais Libération et la chanson, ce n’est qu’une histoire d’opportunisme et de mode.
Il est très chouette ton souvenir, Floréal, petit bonheur d’un jour.