C’est Boby Lapointe qui n’en reviendrait pas. Désormais ses chansons se vendent comme du saucisson (de ch’val) sur les plateformes de téléchargement. Et Juliette, si elle s’y plie aussi (mais a-t-elle le choix ?), n’aime pas ça la vente à la découpe. Ingrid Merckx, qui l’a récemment rencontrée pour Politis*, lui a demandé pourquoi elle avait glissé dans la pochette de Nour un petit mot qui « invite l’auditeur à […] écouter [le disque] au moins une fois en entier et dans l’ordre ». Et la chanteuse d’expliquer : « Tous les artistes prêtent attention à la manière dont les morceaux s’enchaînent sur un disque. On calcule même la durée des blancs entre les chansons. » L’amateur le sent ou le sait. La preuve : il parle plus volontiers d’« album » que de « CD ». Cette analogie avec le livre s’est peu à peu imposée à partir de 1966 avec l’apparition des premiers albums-concepts (Pet Sounds des Beach Boys, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles ou, pour ne pas s’en tenir à ces deux seuls exemples fameux, Days of Future Passed des Moody Blues). La formule gagnera la France. Tout au long des années 70, elle fera le bonheur des groupes de rock et de folk « progressifs » : Ange (Emile Jacotey), Wapassou (Messe en ré mineur), Malicorne (Almanach)… Mais le plus célèbre album français, dans cette catégorie, c’est sans doute Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg. Même si l’on s’en voudrait d’oublier Léo Ferré qui a sacrifié au genre avec La Chanson du Mal-Aimé et L’Opéra du pauvre. La question s’impose : qui voudrait acheter en tranches l’un des albums cités** ? ou le Requiem autour d’un temps présent, le testament discographique de Pia Colombo ? Encore faudrait-il que ce double LP soit numérisé. Pour commencer.
René Troin
* N° 1289, pp. 22-23.
** Et, d’ailleurs, qui tranchera dans certaines des faces qui n’ont pas de silences ?
Il est vrai que les artistes réfléchissent à l’ordre des chansons dans un CD, même s’il ne s’agit pas d’un album concept, comme ceux évoqués dans cet article. Cependant que reste-t-il au final de chaque disque ? Une ou deux chansons ? Les plus réussies, dans le meilleur des cas… Est-ce une raison pour ne pas écouter un album dans son intégralité ? Je ne crois pas, bien sûr, cependant, je dois avouer qu’il m’arrive rarement de réécouter un album dans son entier, je « saute » les chansons que j’estime plus faibles et qui me touchent moins ou pas du tout. Je n’écoute qu’une fois, la première, le total dans l’ordre proposé. Ensuite je picore ce qui m’intéresse, y compris chez ceux que j’apprécie le plus.
Du temps des vinyles, la manipulation difficile, ou du moins plus laborieuse, commandait de choisir, notamment ce qu’on mettait en face A et en face B. A présent avec le CD, on va d’une chanson à l’autre comme on veut.
La chanson d’ouverture semble garder son importance, au moins dans l’esprit des artistes, qui se méfient des programmateurs pressés. Pour le reste…
A mon avis, l’ordre n’a pas tant d’importance que ça, même si moi-même je choisis l’ordre de mes chansons avec soin, mais parfois je me demande si ça n’est pas simplement parce qu’il semble impossible « culturellement » de les mettre au hasard et laisser l’auditeur se débrouiller.
Pierre Delorme