J’ai trouvé dans le petit livre qu’Yvette Guilbert
a consacré à ses mémoires de chanteuse* une phrase où elle parle de son art d’interpréter. C’est, écrit-elle, « la science d’allumer et d’éteindre les mots, de les plonger, selon leur sens, dans l’ombre ou la lumière ». Je me demande si une phrase aussi simple que celle-ci, même sortie de son contexte, ne vaut finalement pas tous les cours d’interprétation ?
Elle évoque aussi l’articulation : « Tout ce qui, en bref, fait vivre ou mourir un texte, le fait palpiter avec force, couleur, style, élégance ou vulgarité, toute cette science-là fut l’objet continuel de mes soins, et fut la première qualité reconnue par mes juges qui totalisèrent toutes ces nuances en une seule : une bonne articulation. » A laquelle elle ajoute la science de la diction : « […] la mise en action du verbe, enrichie de sa composition expressive, de son sens extériorisé, visible, peint, sculpté, rendu vivant ! »
Elle se considérait elle-même comme une « diseuse de chansons », dont l’art était « […] celui du comédien, au service d’une chanteuse sans voix, qui demande au piano ou à l’orchestre de chanter à sa place. Voilà quel est mon art ». Un bel exemple à méditer.
On peut aussi au fil des pages de ces Mémoires lire des considérations sur l’évolution du « métier » à cette époque. Notamment ceci : « Quand on compare le journalisme actuel à celui d’autrefois, on se rend compte de la facilité, pour certains artistes, qui sont sur quelques-unes de nos scènes, d’y prendre pied et de s’y faire une espèce de réputation « boulevardière ». Personne ne les empêche plus. Des directeurs de théâtre en profitent pour lancer des artistes et les music-halls pour imposer des vedettes. C’est une question d’argent, qui, à la manière américaine, fait d’une puce un éléphant. »
Le texte a été écrit en 1926 et ça laisse rêveur… A part « boulevardière » que l’on pourrait remplacer aisément aujourd’hui par médiatique, rien de bien nouveau sous le soleil, sauf la « manière américaine » toujours plus efficace et les sommes d’argent toujours plus importantes.
J’aime bien l’image de la puce et de l’éléphant. Dans le rôle de la puce faite éléphant, chacun pensera à qui il voudra. Le choix ne manque pas.
Pierre Delorme
* Yvette Guilbert, La Chanson de ma vie, Grasset, 1927 (rééd. Grasset /
« Les Cahiers rouges », 1995).
Oh !… merci infiniment de cet article !…
C’est l’ensemble des phrases prononcées par cette femme, et que tu cites ici, qui laisse rêveur, phrases impressionnantes de justesse, d’intelligence, de précision, de pertinence, et, comme tu le soulignes… d’actualité !
Ça donne bien envie de lire ce bouquin, ce que je vais m’employer à faire, toutes affaires cessantes !
Merci à toi !