Pierre Mac Orlan (1882-1970) nous a laissé une œuvre riche et variée dont certains romans
(Le Quai des Brumes, La Bandera) et certaines chansons (La Fille de Londres, La Chanson de Margaret ) connurent un grand succès*. Il nous a laissé aussi des écrits sur la chanson populaire, telle qu’il la voyait à son époque. La pertinence de ses réflexions peut donner à penser que les choses n’ont guère changé aujourd’hui et que les questions qu’il se posait restent d’actualité.
« Tout le monde est d’accord pour admettre qu’une chanson, dont la valeur littéraire est souvent imperceptible, peut dérouler un film anecdotique de la vie intérieure de chacun de nous. Elle sait recréer une étape effacée dans la partie déjà morte d’une existence avec ses couleurs, les sons, les odeurs. Alors les mots prennent un pouvoir étrange : c’est un nom de rue, un nom de route, un nom de ville, un nom de fille, qui résument assez nettement ces éléments si féconds. Cette forme de résurrection poétique du passé est une des plus puissantes : elle s’adresse à tout le monde ; et il n’est guère possible de citer une vie d’homme ou de femme qui puisse se soustraire à cette émotion qui est loin d’être bienfaisante : ce n’est pas un repos.
Il est permis de recevoir le message d’une chanson morte comme on reçoit le message d’une photographie jaunie par le temps. Alors les détails, quelquefois les plus médiocres, chatouillent les paupières. Les mots qui furent les éléments secrets de la condition sentimentale de chacun, s’étirent et marchent comme des ombres.
[…] cette présence de la chanson populaire est constante dans l’existence quotidienne qui, inexorablement, doit contenir sa dose de poésie. Personne ne saurait se soustraire à ce besoin qui est comme une loi. »
Revue de la pensée française (New York et Montréal), octobre 1951.
« En somme, pour moi, […] la chanson populaire est la chanson qui m’a plu, il y a bien des années, qui me plaît encore, comme me plaisent les chansons récentes qui pénètrent chez moi avec autorité, l’autorité de la poésie de l’authenticité, celle des paysages humains. Ces chansons sont rares. »
Almanach du disque, 1954.
« Les chansons lancées comme on lance un nouveau produit de beauté ou un appareil de cuisine sont d’une action heureusement éphémère : plus elles connaissent le succès au moment de leur apparition sur le marché et plus vite elles s’anéantissent dans l’oubli, un oubli qui permet rarement des résurrections. »
Avant-propos pour Mémoire en chansons, Gallimard, 1965.
Et enfin, une problématique chère à « Crapauds et Rossignols » :
« Je crois avoir tout dit, à mon goût, sur la chanson et le rayonnement stérile des interminables discussions qu’engendre et entretient la diversité des opinions. Chansons sur mesure et chansons de confection ne peuvent se comparer. Il y a un public pour les unes et pour les autres. Le plus simple est de ne pas contrarier la personnalité sentimentale des deux publics. La chanson est une force sentimentale indiscutable. De ce fait, elle n’admet pas qu’on la critique. Chacun de nous se réserve le droit de ses « chocs » ; juger est en quelque sorte violer une intimité dont les nuances sont infinies. Nous prêtons souvent à une chanson nos propres sentiments qui naissent de nos souvenirs, créateurs d’une littérature, qui s’adapte strictement à notre personnalité plus ou moins encline à se libérer dans le pittoresque des souvenirs. »
Almanach du disque, 1956.
* EPM vient de publier, sous le titre Pierre Mac Orlan – Hommage, un coffret de 3 CD et 1 DVD. Les deux premiers CD composent une anthologie des interprètes féminines de Mac Orlan (Germaine Montero, Monique Morelli, Catherine Sauvage…) et permettent à l’amateur non spécialiste d’entendre les six Chansons de soldats, mises en musique par V. Marceau (Marceau Verschueren) et gravées en 1950 par Laure Diana. Le troisième CD, « Paroles d’un écrivain de chansons », regroupe des extraits d’entretiens avec Pierre Mac Orlan. Le DVD propose un film de 26 minutes (Une maison macorlanesque) et un montage de 6 minutes (Pierre Mac Orlan, Dagobert et Compagnie), réalisés par Djamila Merabet.
Salut,
Voilà le genre d’article qui incite à courir prestissimo dans les bibliothèques ou chez les bouquinistes pour avoir in extenso les écrits de Mac Orlan… en attendant un copié-collé s’impose… Bravo et merci…
Chansons pour accordéon (et son avant-propos), Gallimard, 1953, est réédité par La Table Ronde, coll. « La petite vermillon », Paris, 2002.
Le n°11 des Cahiers Pierre Mac Orlan, « La Chanson », a été édité en 1996 par le Comité des Amis de Pierre Mac Orlan (rare).
Cordialement
Magnifiques et pertinents propos de Marc Orlan… Merci pour les sources que je ne manque pas de noter…
Je partage les derniers propos que vous rapportez de Pierre Mac Orlan. Cela ne m’empêche pas de me poser cette question : est-ce la vocation de la chanson « sur mesure » de ne pas avoir accès aux « grands » médias ?