« Une nouvelle de Marcel Aymé. Ecrivain contemporain, Marcel Aymé est passé maître dans l’art de marier la tendresse et l’ironie. Extrait du recueil Le Passe-Muraille, ce récit vous plonge dans l’ambiance tendue d’une maison où le chef de famille a décidé “d’aider” son fils à faire ses devoirs… »
Question : de quel ouvrage ce texte est-il extrait ? (Eh oui, le lecteur de Crapauds et Rossignols n’est pas à l’abri d’une interrogation-surprise). Du Lagarde & Michard consacré aux grands auteurs du XXe siècle ? Non. D’un volume de la collection « Folioplus Classiques » autour de l’auteur du Passe-Muraille, avec commentaires des textes à l’usage des élèves de troisième ? Non plus… Vous donnez votre langue au chat (perché) ? Alors, voilà. Cette brève introduction à la nouvelle intitulée Le Proverbe se trouve en page 113 du numéro 46 de… Salut les copains (SLC). Pour lire la suite de l’histoire, il faut sauter à la page 143, puis aux pages 147, 148, 151, 153, 156, 159, 161 et 162. Quel périodique, Le Monde diplomatique mis à part, oserait aujourd’hui demander tant de persévérance à ses lecteurs ?
Dans ce même numéro, on peut aussi lire « Qui es-tu Jean Ferrat ? » (1). Jean-Pierre Frimbois, qui a rencontré le chanteur à Bruxelles, rend compte du tour de chant auquel il a assisté à l’Ancienne Belgique. Extrait : « Les chansons qu’il interpréta, nous les connaissons toutes : Nuit et Brouillard, La Montagne, Les Belles Etrangères, On ne voit pas le temps passer, entre autres. C’est si peu dire que je t’aime et Que serais-je sans toi ?, deux poèmes d’Aragon dont il a écrit la musique furent écoutés dans un silence quasi religieux et applaudis deux longues minutes. Une seule fut accueillie avec politesse : Le Sabre et le Goupillon. A Bruxelles, on n’aime guère plaisanter sur ces sujets, surtout s’il y a des enfants dans la salle. Ça pourrait les influencer. » Pas mal, non, pour un magazine censé parachever l’abêtissement d’une génération, déjà bien engagé par les bandes dessinées selon la vulgate en vogue à l’époque dans le monde enseignant.
Bien sûr, au fil des autres pages, on tombe sur Eric Charden, Chantal Kelly,
Pascal Danel… Mais ils sont photographiés par Benjamin Auger, Tony Frank ou Jean-Marie Périer, lesquels n’étaient pas précisément des paparazzis armés d’un Instamatic. Bien sûr, on relève aussi quelques perles qui, près de cinq décennies plus tard, ont gagné en saveur. Hervé Vilard, par exemple, déteste son second prénom : René (m’en fous, mon gars ; moi-même, j’aimais pas tes chansons, ni d’ailleurs ton premier prénom qui sonnait un peu comme le nom d’un fromage blanc qu’on nous infligeait pour une question de calcium). Et Sheila a un avis sur la bombe atomique : « C’est un problème qui me dépasse. Je ne crois pas, d’autre part, qu’une fille ait vraiment à penser quelque chose de particulier dans ce domaine. […] »
Nous sommes à deux ans de 1968. Salut les Copains ne résistera pas aux temps qui changent. Le magazine entrera dans un lent déclin qui s’achèvera en 2006, date à laquelle il n’a plus que la moitié de son titre (Salut) et n’est plus que l’ombre de son ombre (avec des accroches du genre « Tout sur la vie de David Hallyday », « Sophie Marceau séduite par Depardieu », « Dans l’intimité de Serge Lama »…). N’empêche, en 1966, grâce à la qualité des textes et des images de SLC, nous étions mûrs pour Rock & Folk, dont le premier numéro arrive dans les kiosques en novembre de cette année-là. Rock & Folk qui, à ses débuts, n’était pas aussi pur et dur qu’on pourrait le croire. Mais cela est la suite de l’histoire.
René Troin
(1) La fiche signalétique, qui chapeaute l’article, indique : Nom : Ferrat. Prénom : Jean. Pseudonyme : sans. L’un de nos lecteurs, spécialiste de Jean Ferrat, saurait-il si cette erreur (ou omission ?) s’est répétée dans d’autres supports, et si elle a été relevée et commentée par un biographe ?
Cet article faisant comme une espèce d’interlude dans cette rubrique, voici une musique adéquate pour l’illustrer. Il s’agit d’une version instrumentale d’Endlessly de Clyde Otis et Brook Benton. Les plus âgés de nos lecteurs la reconnaîtront et leur mémoire fera le reste pour retrouver les images qui vont avec. Les autres taperont « Le Petit Train – Rébus – ORTF » dans leur moteur de recherche préféré.
Une madeleine en forme de petit train… un joli plaisir pour un dimanche matin un peu gris. Merci René !
Tout ce qui est dit là est très, très juste. Merci pour cet article. J’ai dû garder quelque part le numéro en question de SLC, ce magazine auquel – en dépit de tous ses défauts – je dois beaucoup. C’est en écoutant de mauvaises chansons que j’ai appris, je crois, à aimer les meilleures.