Vous l’aurez remarqué, les amateurs de chansons ont l’agacement facile pour peu qu’on les titille du côté de leur passion. Que l’on émette des doutes sur la qualité des prestations de tel ou telle qu’ils adulent, ou encore sur la pertinence de leurs affirmations et commentaires divers, les voilà qui hurlent au scandale et au crime de lèse-chanson.
C’est bien normal, chacun ses marottes, ses dadas, ses points qui chatouillent ou qui grattouillent.
Personnellement, que l’on apprécie ou non les artistes dont les chansons m’importent, je m’en fous. Mon point d’agacement maniaque se situe plus au moment où les chanteuses et chanteurs, quand ils parlent de leur travail, osent dire « ma musique » ! C’est très présomptueux et très inconséquent de leur part.
Peut-on parler de « sa » musique lorsque, dans la plupart des cas, on se borne à bidouiller trois accords mal ficelés, sur lesquels on pose une mélodie mille fois entendue, et que l’on confie les arrangements de ses chansons à quelqu’un d’autre ? Avouons que dans ses conditions parler de « sa » musique est largement abusif. Généralement on emprunte à la musique, dans un style ou un autre, mais elle ne nous appartient pas.
La musique est une chose difficile, exigeante. On peut passer des heures à s’expliquer avec elle, à triturer les notes dans tous les sens pour essayer de leur faire dire quelque chose, même un petit quelque chose… cela ne reste, bien souvent, qu’une entreprise vaine.
On peut avoir parfois l’impression d’y parvenir, à ce petit quelque chose, mais rien n’est moins sûr.
Qui y est arrivé jamais au fond ? Bach, Mozart, Miles Davis, un anonyme auteur de chansons ? A chaque époque, ils se comptent sur les doigts d’une main, ceux qui ont su la faire parler. Les autres, la musique les traverse et parle à leur place, comme un ventriloque fait avec sa marionnette.
Mais soyons indulgents, après tout, pourquoi ne pas dire « ma musique », même si ça n’est pas vrai ? On dit bien tout le temps « Moi, je pense que », et ça n’est pas forcément vrai non plus.
Ce que je viens d’écrire aussi, d’ailleurs. Mais grattouiller là où ça chatouille, ça fait du bien.
Pierre Delorme
hmmm… Mauvais procès, je trouve. Un maître dit « mon chien », mais s’il pouvait parler un chien dirait « mon maître ».
Moi aussi je pense que… Ou plutôt, selon Brassens, il me semble que ces déclarations sur « ma musique », comme ils disent, trahissent une sorte de complexe, celui de ne pas oser dire « mes chansons », un art qui par nature est fait de paroles et de musique. Curieusement, personne ne dit « mon écriture » ou « ma poésie »… (sauf Lalanne). Récemment, en scène, un chanteur annonçait « le morceau qui… », comme si chanson était un gros mot, une incongruité… Parmi les « vieux », j’ai toujours entendu Brassens et Moustaki parler de chansons, et pourtant sur le plan musical ils ont aussi composé de belles pages.