Le film des frères Coen Inside Llewyn Davis,
dont nous avons dit tout le bien que nous en
pensons (1), recrée tout l’arrière-plan du Folk Revival qui a eu lieu aux États-Unis au début des années soixante, plus précisément à New York, c’est-à-dire à Manhattan, et plus précisément encore à Greenwich Village, l’épicentre du phénomène, dans un très petit périmètre : quelques rues de ce quartier (notamment MacDougal Street) et quelques boîtes à
chansons : The Gaslight Cafe, The Bitter End, Cafe Wha ?, Fat Black Pussycat, pour les plus célèbres. En regardant le film, on prend conscience du caractère très local de ce Folk Revival, et on peut se demander comment il a pu se propager dans tout le monde occidental, et en particulier la France, où un certain nombre d’adolescents et de jeunes adultes se sont passionnés (à des milliers de kilomètres de New York et avec un décalage d’une année ou deux) pour des chanteurs et des groupes de folk qui chantaient de vieilles chansons américaines du répertoire ou qui en écrivaient de nouvelles dans le même style.
La fascination pour l’Amérique, qui, au début des années 60, jouissait encore en Europe du prestige d’un pays neuf et surtout du pays libérateur de l’Occupation et vainqueur du nazisme, y est pour beaucoup. Le pays, et en particulier New York, était encore l’objet de fantasmes, de chimères, et Greenwich Village un endroit dont l’exotisme nous éblouissait à distance. Nous avons donc écouté (et d’une certaine manière « étudié » pour certains passionnés) avec avidité les chansons, même les plus obscures, de cette période et collecté les anecdotes concernant des chanteurs et des groupes assez ordinaires, mais que leur simple appartenance à ces lieux et à ce courant « folk » rendait à nos yeux extraordinaires. La fascination pour l’Amérique et Greenwich Village ne peut cependant pas à elle seule expliquer la propagation très forte de ce courant. Il a bien fallu que l’industrie américaine du disque y mette du sien, relayée avec conviction par les commerçants européens.
Au strict plan artistique, la France vivra, comme en écho, avec quelques années d’écart, le renouveau de son propre « folk ». Tout partira d’un lieu parisien : le Centre culturel… américain (2).
Lionel Rocheman, qui se définit alors lui-même comme « le seul chanteur français de […] chansons populaires traditionnelles (3) », y organise son premier hootenany en 1964. Au fil des années suivantes, Gabriel Yacoub, Catherine Perrier, Hervé Cristiani, Alan Stivell… se frottent à leur premier public dans le cadre de ce « spectacle populaire [qui] donne à tous les chanteurs la possibilité de s’exprimer […] sans sélection préalable (3) ». Sans compter les Américains de passage en France : Pat Woods, Mary Rhoads, Roger Mason et son alter ego – aujourd’hui Français d’adoption – Steve Waring.
Mais notre pays a aussi connu un phénomène musical comparable au Folk Revival étasunien. Limité aussi à un quartier, un petit périmètre (la rive gauche de la Seine à Paris et ses cabarets), il a eu lieu dans les années cinquante/soixante et a marqué durablement la chanson francophone. Mais à la différence du mouvement de renaissance parti de New York, il n’a guère franchi les frontières de l’Hexagone. Si la France (et sa langue) avait à cette époque dominé le monde, on aurait peut-être vu des milliers d’ados américains se passionner pour Brassens, Brel, Maurice Fanon, Henri Gougaud, Anne Sylvestre, Roger Riffard ou les Quatre Barbus.
Elle sait bien y faire, l’industrie américaine du disque et du spectacle. Les petits baby-boomers européens comme nous passèrent donc, en une petite dizaine d’années, du western, ses cow-boys et ses Indiens du Far West, aux héros de la côte Est, à Greenwich Village, New York. Ils avaient simplement changé leurs revolvers et leurs arcs pour des guitares et des harmonicas.
L’influence américaine, dans le domaine de la musique populaire et du divertissement en général, n’est plus à démontrer. Dans le domaine de la musique, depuis le jazz jusqu’au rap, en passant par le rock, et ensuite donc le folk, nos moyens d’expression se transforment principalement au gré du vent qui souffle des États-Unis. Cependant, il suffit de se rendre aux États-Unis, à Greenwich Village en particulier, pour comprendre que « l’Amérique ça n’existe pas, je le sais, j’y suis allé », comme dit un des personnages du très beau film d’Alain Resnais Mon Oncle d’Amérique, et pour ressentir tout l’arbitraire de cette domination culturelle.
Pierre Delorme et René Troin
(1) Voir Perdu dans l’impasse (rubrique : « Des livres, des films »).
(2) Il occupait, boulevard Raspail, l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.
(3) Propos extraits d’une interview de Lionel Rocheman par Jacques Vassal,
Rock & Folk n° 7 (mai 1967), p. 6.
On doit être quelques-uns à avoir été séduits par ces Ricains, avec les beaux westerns bien propres des années 50, le jazz et le swing… Tous admirateurs des Ricains de Sardou… Et puis quand Steve Waring et Roger Mason ou Mezz Mezzrow et Sim Copans ont ouvert quelques pistes différentes, le folkore de la petite maison dans la prairie a pris d’autres couleurs… N’empêche que « Dans les plaines du Far West… », ça reste en leitmotiv dans le tableau… malgré le KKK et Wounded Knee…
Personnellement je n’avais aucune admiration particulière pour les Etats-Unis dans ces années juste avant mai 68.
Un album a été vraiment marquant dans ce contexte : Aufray chante Dylan.
La découverte de l’Amérique contestataire de Bob Dylan et Joan Baez est venue de là.
Je confirme.