Après une longue absence, pour cause d’incompatibilité avec les mœurs du show-biz, Yvan Dautin a fait un retour discret, en marge, sur quelques scènes, il y a maintenant une petite dizaine d’années. Ce retour, avec de nouvelles chansons, lui aura permis, en 2008, de réaliser un enregistrement public au Forum Léo-Ferré : Ne pense plus, dépense ! Mais ce nouveau départ n’eut hélas pas les conséquences espérées, Yvan Dautin ayant placé son destin artistique entre des mains qu’il avait crues, à tort, fraternelles. Depuis, un producteur digne de ce nom a pris le relais, lui permettant d’enregistrer en studio ses dernières chansons et de nous offrir un nouveau et très beau CD (1).
Yvan Dautin était le vendredi 4 octobre sur la scène du Forum Léo-Ferré, à Ivry-sur-Seine, devant un public hélas trop maigre pour un spectacle de cette qualité.
Après une première partie essentiellement composée des titres phares qui lui valurent ses heures de gloire, dans les années 70 et 80, l’artiste nous a offert les chansons de ce dernier CD, paru en novembre dernier. L’ambiance change en cette seconde partie. La fantaisie des Méduse, Kate, Est-ce que c’est salsa ? l’a alors cédé à un univers sombre. L’usure du temps qui laisse les amours en loques, les vies conjugales marquées par la violence ou l’hypocrisie, et surtout le monde tel qu’il va, plutôt mal, Yvan Dautin s’applique, à travers ces thèmes, à donner tout son sens à cette affirmation qui fait des plus désespérés les chants les plus beaux. La Femme battue, La Valse des adieux ou Avec un crêpe sur le cœur sont là pour en témoigner.
Accompagné au piano par Angelo Zurzolo, auteur de la quasi-totalité des mélodies du dernier CD, et par Gilles Bioteau à la contrebasse et à la basse électrique, Yvan Dautin offre à ses deux musiciens quelques moments de liberté musicale qui nous entraînent vers d’agréables séquences jazzy atténuant quelque peu la gravité du propos. Sur la fin, la chanson Tout va mal, dont le titre résume à lui seul l’état d’esprit de l’artiste, apporte même une nouvelle touche de fantaisie au spectacle, comme une marque d’autodérision bienvenue, grâce à la musique dansante posée sur les paroles. Esquisser quelques pas de danse, micro en main, Yvan Dautin ne s’en prive d’ailleurs pas, malgré le peu d’espace que lui laisse la star du lieu, le fameux « piano de Léo Ferré » (2), qui accapare une bonne partie de la scène.
Car, heureusement, l’humour et les éclats de rire n’ont pas abandonné cet homme que l’observation du monde entraîne vers une désespérance que n’atténue en rien, bien au contraire, le spectacle offert par ceux-là qui se posent en sauveurs (« On vote encore, on vote utile/D’ailleurs on n’est jamais déçu ») et ceux-là qui les suivent (« Les yeux fixés sur nos chaussettes/Pour n’avoir plus de point de vue »). Sans tourner le dos à ses semblables, continuant de les observer sans plus guère d’illusions, ayant délibérément opté pour le parti des oiseaux, Yvan Dautin regarde le monde « normal », mais semble s’en éloigner de plus en plus, non sans souffrance, pour s’installer dans ce monde à part qui nous vaut ces noires mais superbes chansons.
Floréal Melgar
(1) Yvan Dautin, Un monde à part, Amja Productions, 2012.
(2) Une légende persistante veut que ce piano ait appartenu à Léo Ferré et que l’association à l’origine de la création du Forum l’ait récupéré à sa mort. En vérité, ce piano, qui fut choisi par Paul Castanier au moment de son achat, pour être mis à la disposition de Léo Ferré, entre autres, au théâtre Déjazet, alors rebaptisé Théâtre libertaire de Paris, a toujours été la propriété d’un membre de ladite association.