Il semble que l’existence des chansons ne naît pas d’un quelconque besoin qu’éprouverait le monde. Si besoin il y a, il serait plutôt à chercher du côté de ceux qui les écrivent, ces chansons. Et si elles rencontrent un public, cela ne signifie pas pour autant que ledit public était frénétiquement en demande. Il prend ce qui lui plaît parmi ce qu’on lui offre, voilà tout.
L’activité artistique demeure, en revanche, indispensable à pas mal d’humains, qui ne se soucient guère de savoir si les thèmes qu’ils abordent ont déjà été explorés à maintes reprises, et souvent mieux. Depuis le temps que s’écrivent des romans, que des Flaubert, des Zola, des Dostoïevski, des Céline ou des Camus nous ont laissé des œuvres difficilement égalables, cela n’empêchera pas (hélas ?) des Amélie Nothomb de continuer à écrire. Il se trouvera toujours sur les bords de Seine ou de la Volane des peintres du dimanche plus ou moins talentueux pour s’essayer à l’aquarelle ou à l’huile. Les tableaux de Vermeer, Pissarro, Gauguin ou Yang Zhi-guang n’y changeront rien.
Il en va de même pour la chanson. Révérence gardée envers Bob Dylan, le p’tit gars du Minnesota se trompe lorsqu’il déclare : « Le monde n’a plus besoin de chansons. […] Non, il y en a suffisamment. Il y en a même trop. En fait si personne n’écrivait plus de chansons à partir de maintenant, le monde n’en souffrirait pas. Tout le monde s’en fiche. Il y a suffisamment de chansons à écouter, si l’on veut écouter des chansons. A chaque homme, chaque femme et chaque enfant sur Terre, on pourrait envoyer, probablement, une centaine de disques, et il n’y aurait jamais de répétition (1). »
La question ne se pose ni en termes de quantité ni en termes de qualité. Chacun de ceux – d’ailleurs de plus en plus nombreux – qui s’essaient à la chanson ou qui s’installent dans une « carrière » sait très bien, on peut l’espérer, qu’il ne révolutionne ni l’écriture ni la composition. Très rares sont ceux qui y sont parvenus. Et pourtant l’on continue à écrire des chansons comme on continue de peindre, de danser, de réaliser des films. Car le besoin, ou l’envie, de s’exprimer par l’art est le plus fort. Voilà pourquoi il y aura toujours des chansons.
LTG
1. Dylan par Dylan, Interviews, 1962-2004, traduction
Denis Griesmar, Bartillat, 2007.